Tensions ethniques: « Ce qui nous attend sont des problèmes encore plus
graves dans quelques années »
Saša Uhlová a étudié les langue et civilisation rom. Elle a longtemps
travaillé sur le terrain et fait partie aujourd’hui de l’ONG Romea,
qui publie un magazine appelé Romano Vodi, dont elle a la charge. Saša
Uhlová avait déjà suivi de près l’affaire du mur d’Ústí nad Labem,
qui avait fait beaucoup couler d’encre dans les médias nationaux et
étrangers en 1999. Récemment elle était dans la région de Šluknov où
la tension est montée d’un cran entre Roms et non-Roms. Au micro de
Radio Prague, Saša Uhlová est revenu sur ces derniers développements.
« Les raisons pour lesquelles les problèmes à Ústí se sont passés il y
a dix ans et les raisons pour lesquelles aujourd’hui les gens du Nord
organisent des manifestations contre les Roms sont les mêmes, à savoir la
politique de l’Etat et des villes qui ostracise les Roms. Les mairies
mènent une politique qui essaye d’évacuer les familles Roms de la
ville. Généralement il y a plusieurs familles Roms qui habitent en ville,
d’autres dans des « ghettos », les mairies vendent les maisons ou
habitent des Roms à des propriétaires privés, à très bon marché. Ces
propriétaires privés « virent » les Roms de ces maisons là, et la
seule possibilité pour ces familles est d’aller vivre dans les ghettos
où se cumulent les problèmes. Ensuite les voisins non-Roms qui
n’habitent pas loin de ces ghettos se plaignent. La ville va encore
essayer de repousser plus loin les Roms, c’est une politique qui mène à
un repoussement de plus en plus loin. C’est le but de beaucoup de
politiciens locaux de supprimer ces problèmes de cette manière là, en
repoussant les Roms. Ce qui nous attend ce sont des problèmes encore plus
graves dans quelques années si cette politique continue si cette politique
continue. »
Vous parliez des manifestations dans la région de Šluknov et notamment à
Varnsdorf où vous étiez récemment. Est-ce que vous avez parlé à la
population locale et à ses voisins Roms ? Quelle est votre impression sur
ce qu’ils vous ont dit ?
« A vrai dire, j’étais un peu étonnée. J’attendais beaucoup plus
de réactions ouvertement racistes et pleines de haine. J’étais
étonnée que, quand j’ai discuté un peu plus longtemps avec les gens,
bien qu’au début ils disaient que les Tsiganes étaient la source de
tous les malheurs, qu’ils ne les aimaient pas et qu’ils créaient des
problèmes, la majorité des gens avec qui j’ai parlé ce jour-là ont
commencé ensuite à parler d’autres problèmes. Notamment de la
corruption et des problèmes au niveau de la ville, de la mairie. Ma
conclusion de ces dialogues est que les gens au Nord ont le même sentiment
anti-tsigane que tous les autres Tchèques dans le pays, même ici, dans le
quartier où j’habite à Prague où il n’y a quasiment pas de tsiganes,
les gens ne les aiment pas. Cependant, ils ont beaucoup d’autres
problèmes : ils sont au chômage, la région est un peu délaissée car
l’Etat n’y investit pas. Les gens sont dans une sorte de « dépression
», les Tsiganes sont la première chose qui leur vient en tête, si l’on
discute avec eux on voit bien que ce n’est pas le seul problème qu’ils
ont. Ce n’est pas vraiment les tsiganes qui causent leurs problèmes mais
ils ont besoin de quelque chose qu’ils peuvent bien identifier, et dire
tous ensemble qu’ils n’aiment pas quelqu’un. Je pense que c’est
partout pareil. »
Le premier ministre tchèque, Petr Nečas, s’est rendu dans cette
région de Šluknov récemment et a parlé de mesures prônées par le
gouvernement et notamment de mesures qui consistent à conditionner le
versement d’allocations familiales à certains travaux d’intérêt
général. Est-ce que c’est le genre de mesures qui peut apporter des
solutions, selon vous ?
« Selon moi, ça ne peut pas apporter des solutions, c’est de la
répression. De plus, ça vise un problème qui n’est pas vraiment « le
» problème, comme je l’ai dit précédemment. Le problème de cette
région est que, entre autres, il y a un taux de chômage très élevé. Du
moment où l’on va poser les problèmes de cette manière aux gens, cela
va toucher bien sûr des non Roms, la population va avoir encore plus de
frustrations. Donc je pense que ces mesures vont dans le mauvais sens. »
On parle de solutions beaucoup plus en amont, à savoir faire en sorte que
les enfants Roms ne soit plus discriminés dans le système scolaire. Je
sais que vous connaissez bien le problème car vous avez enseigné dans une
école pour enfants Roms, des enfants qui sont souvent envoyés dans des
écoles dites « spéciales ». Est-ce qu’on peut dire que l’éducation
est un problème-clé ?
« On peut dire que l’éducation est un des problèmes principaux, il y
en a d’autres : le travail ou le logement. Le problème de ce
gouvernement-là est qu’il ne fait rien dans ce domaine. Avant les
élections, il y a avait un autre ministre de l’Education, Ondřej
Liška, du Parti Vert, et son adjointe, Klára Laurenčíková, qui a
vraiment été la première personne depuis vingt ans à commencer à faire
quelque chose contre ce problème de discrimination scolaire. Elle a
commencé à faire un grand nombre d’étapes pour faire en sorte qu’il
n’y ait plus cette ségrégation, pour faire en sorte que ces enfants
n’aillent plus dans des écoles pour enfants handicapés mentalement.
Après les élections on a arrêté tout ce travail et il y a des gens qui
travaillent au ministère qui affirment que c’est peut être mieux pour
ces enfants d’aller dans ces écoles-là, que ce n’est peut être pas
mauvais que les enfants soient séparés car pour les parents tchèques
c’est difficile d’accepter le fait que leurs enfants aillent à
l’école avec des enfants roms. Donc la tendance est de nouveau
contraire. C’est un peu le « statu quo » actuel : laisser la
ségrégation car c’est difficile de faire quelque chose contre. Si
maintenant le gouvernement dit qu’il veut faire quelque chose contre il
devrait peut être continuer cette politique entamée avant. »
Est-ce que la République tchèque peut s’en sortir seule ? En ce qui
concerne l’intégration des Roms dans le contexte européen on voit dans
plusieurs pays de la région de nombreux problèmes, comme très récemment
en Bulgarie. Est-ce que la République tchèque peut y arriver seule ? Ou
bien les solutions à entreprendre doivent venir de l’Union Européenne
même si beaucoup de fonds destinés à l’aide de la minorité Rom
n’ont pas été très efficaces jusqu'à maintenant ?
« Je pense qu’il y a des ressources dans le pays pour résoudre ce
problème. Il existe des gens qui s’occupent de cette question, qui sont
vraiment des spécialistes et qui pourraient être engagés par les
ministères. Cela serait possible. Le problème est qu’avec les
changements de gouvernements, et notamment le dernier gouvernement dont le
principal but est de faire des économies, ceux-ci ne pensent plus aux
conséquences des leurs économies. Je pense qu’actuellement, même avec
l’Union Européenne, on ne peut pas faire grand-chose. L’Union
Européenne peut aider mais seulement du moment qu’on mobilise les forces
du pays.»
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