Rom ou Tsigane : en tchèque, mieux vaut ne pas se tromper
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague ! Les Tchèques eux-mêmes
ne savent pas très bien : faut-il utiliser le mot « Rom » ou « Cikán
» pour désigner… qui au juste ? Un Rom ou un Tsigane ? C’est la
question à laquelle nous allons tâcher de répondre. Car à la
différence du français, bien faire la distinction entre les deux mots –
bien que ceux-ci désignent les membres d’une même population –
n’est pas anodin en tchèque.
Intitulée Most!, du nom de la ville de Bohême du Nord, une série à
grand succès diffusée par la Télévision tchèque a fait beaucoup parler
d’elle en début d’année. Entre autres raisons parce qu’elle se
moquait du racisme tchèque, un racisme qui vise essentiellement la
minorité rom.
Un de ses protagonistes s’appelle Franta et son rôle a été
interprété Zděnek Godla, un acteur rom dont la photo est apparue en une
de nombreux magazines. Connu uniquement d’un public cinéphile averti il
y a peu encore, Zděnek Godla est depuis devenu – et on exagère à peine
- un phénomène national. S’il joue dans la série le rôle d’un Rom
bien assimilé à la société majoritaire – comprenez tchèque et
blanche –, Zděnek Godla a néanmoins été contraint de s’excuser pour
l’utilisation malheureuse du mot « Cikán » - Tsigane - faite dans une
interview accordée au site iDnes.cz (cf. :
https://www.idnes.cz/usti/zpravy/serial-most-rom-franta-herec-zdenek-godla-rozhovor.A190131_094027_usti-zpravy_mi).
« Je m’excuse sincèrement auprès de tous les Roms qui ont été
blessés parce que j’ai dit dans une interview que de savoir si je suis
Rom ou Tsigane m’est égal. Que je préfère quand on dit que je suis un
Tsigane. Je ne savais pas que cela n’est pas sans importance. Je n’y
avais encore jamais réfléchi et c’était une erreur. Je vous en prie,
ceux qui le peuvent, pardonnez-moi ma méconnaissance de notre histoire »,
s’est-il ainsi ensuite repenti sur son compte Facebook, sans que
l’affaire n’aille plus loin.
Au-delà de l’anecdote, le plus intéressant pour nous est cette
distinction entre les mots « Rom » et « Cigán ». En français, cette
distinction importe peu, l’amalgame est même très fréquent avec les
mots « gitan », « romanichel », « manouche », « bohémien », en
référence à la Bohême, une des deux régions qui composent la
République tchèque aujourd'hui, voire même « gens du voyage ».
Autant de termes pour désigner ce que l’on pense souvent être une seule
et même population, alors que les « gens du voyage » appartiennent à
une catégorie, pas nécessairement rom, dont la particularité est de
posséder un mode de vie itinérant. Autrement dit, « tous » sont plus ou
moins jetés dans le même sac.
En tchèque, la situation diffère quelque peu. Les mots « Rom » et «
Cigán » désignent les membres d’une même population - qui n’est
d’ailleurs absolument pas nomade. Et à l’exception de termes
franchement racistes comme « černá huba » - littéralement « gueule
noire » - en raison de la peau sombre des Roms, il n’en existe pas
d’autres.
Ce terme ou ethnonyme de « Rom » a été adopté par l’Union romani
internationale en 1971 lors du premier congrès international des Roms.
Celui-ci revendiquait alors le droit de ce peuple à être reconnu en tant
que tel et adopta donc la dénomination « Rom » - qui signifie « membre
du peuple rom ». Avant cela, seuls les Roms se désignaient de la sorte
entre eux. Quant aux autres, les non-Roms - que les Roms désignent comme
« gadjo » en romani -, ils parlaient le plus souvent de « Cikáni » en
tchèque, de « Gypsies » en anglais, de « Zigeuner » en allemand, de «
Zingari » en italien, ou donc de Tsiganes, de Gitans ou de Bohémiens en
français.
Reste que cette dénomination de « Tsiganes » ne possède pas la même
valeur sémantique selon les langues. Tandis qu’en français, comme vous
l’avez compris, le mot « Tsigane » désigne un Rom, en tchèque le mot
« Cikán » a le plus souvent une forte connotation péjorative. Même le
dictionnaire de la langue tchèque (Slovník spisovného jazyka českého)
présente le mot « Cikán » comme pouvant être un synonyme de vagabond,
aventurier, menteur, escroc ou encore voleur (et pas forcément de
poules…). Sans que cela soit le meilleur exemple à citer, les partisans
de l’extrême droite tchèque parlent d’ailleurs presque exclusivement
des « Cikáni » et jamais des « Romové » (Roms au pluriel) pour
désigner ceux qu’ils combattent.
Les Roms tchèques ressentent bien cette différence, comme nous le
confirme l’exemple de l’acteur de la série Most!. Pour nombre
d’entre-deux, l’emploi du mot « Cikán » dénote une connotation
raciste. Il s’agirait même d’une insulte. Pour autant, il arrive aussi
que la dénomination « Cikán » n’ait rien de péjorative, comme les
Roms tchèques eux-mêmes le reconnaissent. En fait, cela dépend
essentiellement de la manière d’employer le mot et dans quel contexte
celui-ci est utilisé. Si le terme est employé sans préjugés, alors «
Cikán » sera bien synonyme de « Rom ». Et il est d’ailleurs
intéressant de noter qu’il arrive –- que les Roms tchèques se
désignent entre eux comme des « Cikáni », et ce même si, encore une
fois, la majorité d’entre eux préfère que les Gadjo - les non-Roms -
parlent d’eux comme de Roms – Romové… Et là aussi, l’exemple de
l’interview de Zděnek Godla, qui en bon Tchèque a déclaré qu’il
appréciait l’appellation « Cikán » à laquelle il est habitué, tend
à confirmer cette idée.
La distinction et la nuance entre les deux n’est donc pas toujours
évidente, même si l’essentiel, au fond, quel que soit le contexte,
reste bien entendu toujours de parler « des autres » avec respect. Belle
conclusion, non ? Portez-vous donc du mieux possible - mějte se co
nejlíp!, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt -
zatím ahoj !
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