R.I.P Věra Bílá
« Reine tchèque de la musique tzigane », « Ella Fitzgerald de Bohême
» ou encore « Cesaria Evora d’Europe centrale » : nombreux sont ceux
qui se sont essayés à introniser et comparer cette incomparable reine
déchue qu’était Věra Bílá, décédée mardi dernier à l’âge de
64 ans des suites d'un accident cardiaque.
Une voix, plus qu’envoûtante, un physique, imposant, et un penchant
certain pour l’auto-destruction - Věra Bílá est née Věra Giňová en
1954 à Rokycany dans l’Ouest de la Bohême.
Avec ses cinq frères et sœurs, elle est très tôt bercée par le rythme
de sa famille de musiciens.
C’est Zuzana Navarová, une autre grande dame de la chanson tchèque
partie trôt top elle aussi, qui a permis au grand public de découvrir le
talent de Věra Bílá dans les années 1990.
Son répertoire était un mélange de musique tzigane d'Europe
centrale et de pop des années 60. Dans ses chansons chantées en romani,
tchèque et slovaque, elle n'hésitait pas à parler des hommes ou des
femmes infidèles, de la misère, de l'alcool et de la prostitution.
Avec son groupe Kale, elle enchaîne alors les concerts et est repérée
par celui qui fera prendre une ampleur internationale à sa carrière :
Jiří Smetana, personnage incontournable du rock tchécoslovaque et de la
scène musicale parisienne.
S’ensuivent dix années de gloire pour Věra Bílá et Kale, qui se
produisent sur les scènes les plus prestigieuses du monde, de l’Olympia
de Paris au Hollywood Bowl de Los Angeles.
On peut lire alors dans la revue française Les Inrockuptibles de novembre
1997 : « Belle comme dans ses premiers jours de petite fille, Věra
Bílá, encadrée tendrement de la garde rapprochée des frères Duzda, se
déchire sans retenue le coeur pour l'amour d'une petite Helena,
ou rejoint la saudade de Cesaria Evora au fin fond d'une bouteille de
mauvais alcool (Te me pijav laches rosnes). Il faut avoir vécu de drôles
de choses pour chanter de pareille façon. Il faudra bien moins de
déchirement pour savoir y goûter. »
L’alcool et le tabac finiront hélas par prendre peu à peu le dessus sur
la santé de Věra Bílá, qui, en plus de ces addictions, est une joueuse
compulsive capable de laisser des cachets entiers dans des machines à
sous.
Jiří Smetana jette l’éponge devant l’impossibilité de gérer cette
grande artiste, qui le contraint notamment à annuler une date au Carnegie
Hall.
Věra Bílá était « l'un des plus grands talents chez nous, non
seulement parmi les musiciens roms mais en général », a déclaré mardi
à l’agence ČTK le plus célèbre critique musical praguois Jiří
Černý, qui ajoute : « elle avait devant elle une carrière formidable,
mais elle ne s'y intéressait malheureusement pas trop. Elle avait
toutes les qualités, sauf une seule, mais terriblement importante : le
goût du travail et la fiabilité ».
En 2013, Věra Bílá perd la même année son mari et son fils adoptif.
Elle finit seule dans un de ces logements pour marginalisés qui font la
fortune de marchands de sommeil.
Elle tente un premier retour, puis un documentaire lui est consacré en
2018 par la télévision publique, avant un ultime comeback prévu – aux
côtés du jeune Jan Bendig, son dernier clip, Mek som adaj, est sorti deux
semaines avant sa mort.
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