Mémoire rom : le camp de Lety, la tentation des politiques tchèques
C’est un thème récurrent de la vie politique en République tchèque :
de temps à autre, président, ministres ou députés se plaisent à
remettre en cause la nature réelle du camp de Lety (Bohême du Sud) durant
la Deuxième Guerre mondiale, où plusieurs centaines de Roms notamment
sont morts et sur le site duquel se trouve, pour quelques mois encore, une
porcherie industrielle. Le dernier politique en date à avoir mis les pieds
dans le plat est Tomio Okamura, le leader du parti d’extrême droite
Liberté et Démocratie directe (SPD).
« Le mouvement SPD ne remet absolument pas en cause les faits historiques
objectifs qui témoignent de la souffrance des gens qui ont été internés
dans le camp de travail et de concentration à Lety durant la Deuxième
Guerre mondiale. »
A entendre tout récemment encore Tomio Okamura, on pourrait penser que
tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu’il ne s’est
finalement rien passé de très grave. Ou plutôt que le leader du SPD
n’a rien dit de très grave. La réalité, pourtant, reste cette
déclaration faite au micro d’une journaliste de la chaîne
d’information en ligne DVTV peu après l’annonce de la réélection de
Miloš Zeman dans les fonctions de président de la République. Voici donc
ce qu’avait alors affirmé Tomio Okamura :
« Un grand nombre de victimes juives, car j’ai beaucoup d’amis parmi
les Juifs, y compris des victimes d’Auschwitz, se sont adressées à moi
pour me demander pourquoi en République tchèque nous plaçons au même
niveau le camp de Lety et le camp d’extermination d’Auschwitz. J’ai
donc consulté une déclaration de Václav Klaus et un ouvrage de
l’Académie des sciences consacré aux faits et aux mythes relatifs au
camp de Lety, où il est par exemple écrit que le camp n’était pas
clôturé et que les gens pouvaient se déplacer librement. »
Tomio Okamura n’est pas le premier politique tchèque à mettre en doute
l’objet et la fonction du camp de Lety. Sans remonter jusqu’à
l’ancien président de la République Václav Klaus, on se souvient par
exemple qu’il y a un peu moins d’un an et demi de cela, Andrej Babiš,
qui était alors ministre des Finances, avait heurté la mémoire rom en
affirmant que Lety n’avait été qu’un camp de travail et non pas de
concentration (cf. :
http://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/andrej-babis-heurte-la-memoire-rom).
Le Premier ministre, qui n’a pas la mémoire courte et se souvient des
réactions d’indignation que ses déclarations avaient suscitées, a donc
été un des rares à accepter les excuses de Tomio Okamura, après,
explique-t-il, avoir entendu ce dernier s’exprimer à la télévision :
« Il prétend qu’il d’une fausse interprétation de ses propos. Il a
donc démenti et s’est aussi plus ou moins excusé. Je n’étais pas là
quand il a fait ses déclarations, mais si je m’en tiens à ce que je
l’ai entendu dire, je pense que c’est suffisant. »
Cet avis n’est cependant pas celui de beaucoup d’autres politiques et
des associations œuvrant pour la mémoire du génocide de la minorité rom
par les nazis durant la guerre. Plusieurs plaintes ont déjà été
déposés et tandis que le parti chrétien-démocrate réclame la
révocation de Tomio Okamura de ses fonctions de vice-président de la
Chambre des députés, le ministre de la Justice, Robert Pelikán, pourtant
proche collaborateur d’Andrej Babiš, a, lui, exprimé sa vive
inquiétude et appelé un des personnages politiques les plus en vue de ces
derniers mois en République tchèque à un peu plus de dignité en cessant
de comparer les tragédies humaines ou ne serait-ce qu’en se taisant. «
La mort ne fait pas de différences entre les hommes », a conclu le
ministre, sans toutefois se faire d’illusions sur le fait que quoiqu’il
dise sur le sujet de Lety, cela tombera en République tchèque de toute
façon probablement dans les oreilles de beaucoup de sourds.
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