Lety, enjeu majeur de la mémoire du génocide rom
A l’occasion de la journée internationale dédiée à la mémoire des
victimes de l’Holocauste, l’Institut français de Prague a accueilli le
27 janvier une conférence internationale sur la mémoire de la Shoah et du
génocide des Roms. Radio Prague y a assisté.
C’est sur une note musicale que s’est achevée la Conférence
internationale sur la mémoire de la Shoah et du génocide des Roms
organisée par le musée de la culture Rom de Brno et l’European
Grassroots Antiracist Movement (EGAM).
Outre l’évocation de la mémoire du génocide des Roms et des Sinti, la
conférence était l’occasion de revenir sur le cas de la porcherie de
Lety, située en Bohême du Sud. Sur le site où se trouvait de l’ancien
camp de concentration nazi, où ont été internés des milliers de Roms
durant la Seconde Guerre mondiale, avait été construite une porcherie
industrielle au début des années 1970.
Après plusieurs années de mobilisation d’associations et de membres de
la société civile, la porcherie de Lety a finalement été rachetée par
l’Etat tchèque en novembre dernier. D’ici mars 2018, la porcherie
devrait être fermée, détruite, nettoyée, et remplacée par un
mémorial. Cette victoire n’a pourtant pas été facile à obtenir, et de
nombreux défis restent encore à relever pour rétablir la vérité sur
l’histoire de Lety et du génocide rom. C’est ce qu’explique Miroslav
Brož, porte-parole de l’association Konexe :
« En 2011, il y a eu une vague de violentes manifestations anti-rom. Des
foules essayaient de nous attaquer avec des cocktails Molotov, au point que
nous avions besoin de protection policière. C’est à ce moment-là que
nous avons créé l’association. Nous avons ensuite entendu parler de
Lety, avant de réaliser que la communauté rom en Tchéquie ne connaissait
pas l’histoire du site. Nous avons alors voulu faire fermer la porcherie
et la transformer en un lieu de mémoire. Nous avons fait des campagnes de
sensibilisation et nous avons emmené des adolescents sur les lieux. Ils
étaient très choqués et en ont parlé autour d’eux. Tout cela a permis
de diffuser l’histoire de Lety et de sensibiliser la population au déni
de son histoire. Les négociations que nous avons menées par la suite avec
le gouvernement n’ont pas été concluantes, et nous avons commencé à
organiser des évènements non-violents afin d’obtenir la fermeture du
site. En 2014, un petit groupe de militants est allé à Lety et a bloqué
le fonctionnement de la porcherie pendant une semaine. Nous avons organisé
des blocages, des visites guidées de ce site sur lequel s’était
déroulé un génocide. Nous nous sommes battus pour plus de dignité. Nous
avons ensuite cherché des partenaires au sein d’organisations
non-gouvernementales, et nous sommes entrés en contact avec EGAM,
l’European Grassroots Antiracist Movement.
C’est alors que nous nous
sommes rendus compte que la communauté internationale ne connaissait pas
Lety, ni le déni de ce génocide. Nous avons organisé des manifestations
en Irlande, à Budapest, puis devant le siège de l’Union Européenne à
Prague. Lety est devenu un symbole international, ce qui a mis le
gouvernement sous pression. Aujourd’hui, les choses vont dans le bon
sens, mais il reste encore beaucoup à faire. Il est temps de savoir ce qui
s’est réellement passé. Il y a aujourd’hui deux versions de
l’histoire de Lety : le gouvernement parle d’un petit camp en se basant
sur les archives des meurtriers, tandis que les survivants parlent d’un
nombre beaucoup plus important de victimes. Il est temps de procéder à
des recherches archéologiques afin d’obtenir des informations sur son
histoire. Il est également important de construire un mémorial. Nous
ferons de notre mieux afin de rendre leur dignité aux victimes, et à
chacun d’entre nous. »
Interrogé par Radio Prague, Benjamin Abtan, président de l’European
Grassroots Antiracist Movement (EGAM), a expliqué les raisons du déni
historique du génocide rom évoqué par Miroslav Brož :
« Comme tous les génocides, on met toujours un certain nombre
d’années, voire de décennies, à en parler. Ça a été le cas pour la
Shoah, pour le génocide contre les Tutsis, pour le génocide arménien. Il
y a également quelque chose de spécifique dans le cas du génocide contre
les Roms. Je l’explique par le fait que peu de gens ont écouté leurs
témoignages. Il y a également une structuration des communautés roms qui
n’ont pas été très fortes ni très fortement entendues par rapport à
l’histoire du génocide. Il y a une continuation d’une certaine
domination sociale et raciale. L’histoire de ces communautés, qui sont
aujourd’hui globalement socialement et racialement dominées, est
minorée. Il y a un mouvement, depuis un certain nombre d’années,
impulsé entre autres par la société civile, notamment rom mais pas
seulement, par les mémoriaux, comme celui de la Shoah, qui ont commencé
à faire des recherches et à lancer des mobilisations pour faire en sorte
que cette histoire soit mieux connue. Il y a une dynamique lancée
aujourd’hui pour rattraper le retard qui a été pris sur cette mémoire.
»
A l’issue de la conférence, une cérémonie a eu lieu au cours de
laquelle le musée rom de Brno et l’European Grassroots Antiracist
Movement (EGAM) ont signé un mémorandum d’entente portant sur
l’avenir du site de Lety et sa transformation en mémorial du génocide
rom. Pour Benjamin Abtan, si la fermeture de la porcherie est une victoire
historique, de nombreux efforts restent encore à fournir afin de
préserver la mémoire du génocide des Roms à l’échelle européenne.
« Lety est devenu un symbole, européen, même international. Du manque de
connaissances sur l’histoire du génocide contre les Roms, de la
continuation des persécutions d’hier aux discriminations
d’aujourd’hui, de l’exclusion sociale et du racisme qui continuent.
Traiter le symbole, faire en sorte qu’il n’y ait plus de porcherie,
qu’il y ait à la place un mémorial ou un lieu de mémoire, transformer
ce lieu en un symbole de dignité, cela va avoir un impact très important.
Maintenant, il est important de traiter toutes les problématiques au
niveau européen. C’est pour cela que nous avons aujourd’hui un moment
très important, qui est ce partenariat structurant avec les autorités
tchèques sur l’avenir du site, et que nous lançons également une
fondation européenne pour la mémoire du génocide contre les Roms. Nous
voulons faire en sorte de traiter ces problématiques-là pas seulement
dans le cas de Lety, mais partout en Europe. Il faut faire en sorte que les
Etats, qui portent une responsabilité dans la persécution, apportent des
contributions et des indemnisations aux victimes et, si ces victimes ne
sont plus vivantes, investissent cet argent dans les générations futures,
notamment pour lutter contre le racisme et l’exclusion sociale, pour
développer une mémoire et faire en sorte que cette histoire-là soit
inscrite dans l’éducation officielle. Lety est donc un acte en soit, un
symbole qui comme tous les symboles ont des effets, mais également une
étape parmi d’autres dans un mouvement beaucoup plus large. Le lancement
ces jours-ci de la fondation européenne pour la mémoire du génocide
contre les Roms est lui aussi fondamental. »
Alors que les Roms font encore face à de nombreuses discriminations en
République tchèque et dans d’autres pays européens, la conférence
était également l’occasion de réfléchir aux enjeux contemporains
auxquels les communautés roms font face et aux moyens d’y remédier, non
seulement à l’échelle nationale, mais également européenne.
« Il faut qu’il y ait une volonté claire de faire en sorte que tous les
citoyens, notamment roms, bénéficient d’une égalité des droits,
d’une égale dignité. Cela signifie faire en sorte qu’on lutte contre
le racisme dans les écoles, dans les lois, dans les politiques publiques.
Cela veut également dire investir dans l’éducation, pour tous, afin de
lutter contre les stéréotypes, le racisme, les discriminations. Sur le
sujet de la mémoire, il faut faire en sorte que l’histoire des Roms
fasse partie de l’histoire nationale, en l’intégrant à des
cérémonies, en en parlant, en investissant dans la recherche afin
d’avoir une meilleure connaissance historique, scientifique et
intellectuelle de ces enjeux. La mémorialisation, la construction de sites
mémoriaux fait partie de ce travail d’effort d’inclusion de cette
histoire dans la mémoire nationale. Je pense que s’il y a cet
investissement-là, intégrant toutes ces dimensions, s’il y a également
un investissement permettant de faire en sorte qu’il n’y ait pas de
domination et d’exclusion sociales en plus de l’exclusion raciale, nous
nous serons attaqués à la plupart des problématiques. C’est à la fois
très simple et très compliqué de pouvoir assumer d’avoir cette clarté
dans les principes, mais je pense que c’est quand les Etats font
véritablement attention à tous leurs citoyens, qu’ils se comportent de
manière vraiment démocratique, qu’il y a une adhésion de tous les
citoyens à un Etat, que les Etats deviennent plus forts, que les
sociétés deviennent plus cohérentes et plus fortes. Si nous avons des
dirigeants qui sont des hommes et des femmes d’Etat, ils comprennent que
c’est l’intérêt fondamental des populations et des Etats de faire
cela. C’est donc très simple, et malheureusement parfois un peu
compliqué, on le voit. »
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