Mémoire Rom : la Tchéquie achète enfin la porcherie située
surl’ancien camp de concentration de Lety
C’est la fin d’un feuilleton long de plus de vingt ans et qui
n’était pas tout à fait à la gloire de la République tchèque. Le
gouvernement tchèque a enfin signé jeudi le contrat d’acquisition de la
porcherie située à Lety, en Bohême du Sud, sur le site d’un ancien
camp de concentration pour les Roms, qui était considérée comme une
insulte à la mémoire des exactions commises à leur encontre durant la
Seconde Guerre mondiale.
Le montage réalisé par la Télévision tchèque est assez parlant :
malgré des promesses répétées, Vratislav Mynář, le Premier ministre
en 2003, comme ses successeurs, Mirek Topolánek en 2009 et Petr Nečas en
2012, n’avaient rien fait, invoquant un manque de moyens financiers, pour
mettre fin à une situation jugée scandaleuse par les associations de
défense des droits des Roms.
Le gouvernement finissant de Bohuslav Sobotka avait lui aussi promis de
régler enfin la question. Contre toute attente, il a tenu parole. Jeudi,
le ministre de la Culture Daniel Herman a signé le contrat d’acquisition
de l’exploitation porcine avec ses propriétaires, les représentants de
la société Agpi. Le chrétien-démocrate n’était pas peu fier de voir
l’affaire aboutir :
« C’est symbolique. Je suis très heureux que nous ayons pu payer cette
dette, aller jusqu’au bout. Et j’apprécie le fait que cela intervienne
à un moment proche de la fin de mon mandat. Je considère que c’est un
honneur d’avoir pu être celui qui aide à accompagner ce dossier
jusqu’à son terme. »
Il a en pourtant fallu des mois de négociations et, le ministre souligne
ce point, le contrat signé est le fruit d’un compromis. L’Etat va
débourser 450 millions de couronnes (près de 18 millions d’euros), pour
devenir propriétaire du site, alors qu’il était évalué à quelque 200
millions de couronnes et que le ministère des Finances insistait pour que
cette estimation, réalisée par la justice, soit respectée. La Tchéquie
devra en plus payer quelques dizaines de millions supplémentaires pour la
destruction des bâtiments et la mise aux normes environnementales du
complexe.
De son côté, le patron d’Agpi Jan Čech, satisfait de l’accord
trouvé, indique que la phase de déménagement a déjà débuté :
« Nous avons commencé à réduire la voilure. Depuis début octobre, la
porcherie n’accueille plus de nouveaux animaux. Il y avait au total 13
000 individus sur le site et en fonction de l’avancement de leur cycle de
vie, le dernier animal quittera la ferme à la fin du mois de février. »
L’entreprise cèdera définitivement le site à la fin du mois de mars
prochain. Une nouvelle vie débutera pour lui puisque le Musée de la
culture rom, également signataire du contrat, aura la tâche d’y
concevoir un mémorial du génocide tzigane. Il faudra cependant encore du
temps avant qu’il ne voit le jour, ainsi que l’a indiqué la directrice
de ce musée basée à Brno, l’historienne Jana Horváthová :
« Dans cette première phase, nous voulons avant tout être à
l’écoute des enfants survivants, de tous les survivants, mais
également des activistes, des spécialistes et des autres acteurs de la
société
civile, pour que nous puissions avoir une vision du projet. Et c’est
seulement ensuite que nous passerons à l’étape de la réalisation. Et
bien sûr, nous serons limités au niveau de l’argent nécessaire à
cette réalisation. »
Le mémorial permettra notamment de rappeler que, entre août 1942 et mai
1943, un peu plus de 1 300 Roms tchèques, dont plusieurs centaines
d’enfants, ont été détenus dans le camp de Lety, souvent gardés par
des douaniers tchèques. 327 prisonniers sont morts sur place tandis que
plus de 500 autres y ont séjourné avant d’être transférés à
Auschwitz.
Le Commissaire européen aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
le Letton Nils Muižnieks, suit de près les développements autour de
l’ancien camp de Lety. Dans un communiqué publié jeudi, il se félicite
des démarches enfin entreprises par l’Etat tchèque. Selon lui, «
l’érection d’un mémorial est crucial pour la compréhension du sort
fait aux Roms pendant la Seconde Guerre mondiale, en même temps qu’elle
permettra d’envoyer un message positif pour la société tchèque dans
son ensemble ».
|