Mémoire rom : l’Etat tchèque s’apprête à racheter la porcherie sur
l’ancien camp de Lety
C’est une grande avancée qui est annoncée dans le respect en
République tchèque de la mémoire des victimes rom durant la Deuxième
Guerre mondiale. La porcherie industrielle qui se trouve depuis les années
1970 sur le site de l’ancien camp de concentration de Lety (Bohême du
Sud) devrait disparaître pour laisser place à un mémorial digne de ce
nom. Un accord a été trouvé entre la société propriétaire de
l’exploitation d’élevage et l’Etat tchèque.
Le contrat de vente entre les deux parties devrait être signé au début
du septembre. C’est ce qu’ont indiqué, lundi, le ministre de la
Culture et le président-directeur-général de la société AGPI,
propriétaire de la porcherie, dont une majorité des actionnaires s’est
prononcée lors d’une assemblée générale en faveur de la transaction.
Le montant de celle-ci n’a pas été communiqué.
Les premières négociations entre le gouvernement et AGPI pour un
éventuel rachat de la porcherie ont été entamées il y a une vingtaine
d’années de cela. La République tchèque est depuis régulièrement
critiquée, notamment par le Parlement européen et les activistes, pour sa
passivité sur ce dossier. D’une superficie de sept hectares, la
porcherie, dans laquelle sont élevés quelque 13 000 bêtes dans treize
bâtiments, est exploitée précisément à l’endroit où se trouvait le
camp nazi sous le Protectorat de Bohême-Moravie. Entre août 1942 et mai
1943, un peu plus de 1 300 Roms tchèques y ont été détenus, parmi
lesquels 327 y sont morts tandis que plus de 500 y ont séjourné avant
d’être transférés à Auschwitz. Avant cela, dès août 1940, un camp
de travail y avait été ouvert.
Selon le PDG d’AGPI, Jan Čech, une proposition de prix de vente a été
formulée au gouvernement. Ce rachat doit permettre à la société de
rembourser ses crédits bancaires, mais aussi de construire une autre
porcherie ailleurs. Mais, prétend-il, ces négociations ne sont pas
qu’une affaire de gros sous :
« Nous n’avons jamais considéré qu’il s’agissait là d’une
affaire commerciale. Dès 1998, quand la critique à notre égard s’est
faire plus forte, nous avons déclaré que là où des gens sont morts, il
n’est pas possible de rester indifférent et de ne pas tenir compte de ce
qui s’est passé. »
La réalité n’en reste pas moins qu’aucun accord n’a jamais été
trouvé entre les différents gouvernements qui se sont succédé en
République tchèque depuis la fin des années 1990, époque à laquelle
remontent les premières critiques, et les responsables d’AGPI. Cette
fois, les négociations semblent devoir aboutir, et ce avant la tenue des
élections législatives en octobre prochain, condition fixée par les
propriétaires de la porcherie. Une évolution dont se sont félicités le
ministre en charge des droits de l’homme et le ministre de la Culture,
Daniel Herman :
« A la place de la porcherie devrait être édifié un mémorial qui
rappellera l’existence d’un camp de travail et d’un camp rom, comme
cela est déjà le cas actuellement sur le lieu de l’ancien cimetière.
Mais nous voulons que ce mémorial se trouve précisément à l’endroit
de l’ancien camp. Ce monument doit servir à rappeler tout ce qui touche
à la culture rom, y compris donc la culture du souvenir et du génocide
rom. Actuellement, toutes ces questions sont de la responsabilité du
Musée de la culture rom à Brno, qui est une des organisations
subventionnées par le ministère de la Culture. Le Musée coopérera avec
la commission en charge du dédommagement des victimes du génocide rom,
entre autres raisons parce que de nombreux membres de cette commission sont
des descendants des gens qui sont passés par le camp ou y sont morts. »
Récemment, des fouilles archéologiques menées à Lety ont permis de
définir l’emplacement exact du camp. D’anciennes fondations ainsi que
différentes affaires personnelles ayant appartenu aux détenus ont été
découvertes. Ces trouvailles ont confirmé que la majorité de l’ancien
camp se trouvait sous les bâtiments de la porcherie. Attachée de presse
du Musée de la culture rom à Brno, Kristina Kohoutová se réjouit donc
elle aussi de la prochaine possible démolition de l’exploitation :
« Avoir un lieu de mémoire et de recueillement à Lety est important non
seulement pour évoquer le souvenir de toutes les victimes, mais aussi pour
rappeler les massacres ethniques plus généralement. Nous sommes bien
entendu prêts à participer aux discussions qui seront menées sur la
forme de mémorial qui pourrait être installé à cet endroit. »
Selon les estimations, 90% des Roms tchèques ont été tués par les
nazis durant la Deuxième Guerre mondiale.
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