Mémoire rom : la porcherie de Lety disparaîtra-t-elle enfin ?
Après des années de protestations, l’exploitation porcine située sur
l’ancien camp d’internement de Lety, considérée comme une insulte à
la mémoire de l’holocauste rom, pourrait bientôt disparaître. Le
gouvernement tchèque a en effet annoncé lundi sa volonté d’acquérir
la porcherie. Les militants restent toutefois prudents.
Le Conseil de l’Europe, notamment par la voix de son commissaire en
charge des Droits de l’homme Niels Muižnieks, critique régulièrement
les violations constatées en République tchèque aux droits des personnes
issues de la communauté rom. La question mémorielle qui entoure le camp
de Lety est à ce titre symbolique. Durant la Seconde Guerre mondiale, plus
de 300 Roms y perdirent la vie et plus de 500 autres furent transférés à
Auschwitz. C’est près de ce site, non loin de la ville de Písek en
Bohême du Sud, qu’une exploitation porcine s’est installée dans les
années 1970, une entreprise forcément malodorante qui a survécu à la
chute du communisme puis aux protestations des mouvements de défense des
droits des Roms jusqu’à aujourd’hui.
Après des années d’impuissance des autorités publiques, il faut
croire que le gouvernement de Bohuslav Sobotka s’est finalement décidé
à passer à l’action. Lundi, il a validé le projet visant à
déterminer la valeur du terrain et des bâtiments qui se trouvent sur
place afin que l’Etat en devienne le propriétaire. La tâche a été
confiée au ministre de la Culture, le chrétien-démocrate Daniel Herman :
« Evidemment, des discussions avec les représentants des actionnaires de
la ferme ont déjà eu lieu et, sur la base de ces négociations, ils ont
admis la possibilité de discuter de l’achat du complexe. C’est une
grande avancée. Nous sommes désormais dans le cadre de la deuxième
étape avec l’évaluation de sa valeur. Bien sûr, des chiffres existent
mais je pourrais les compromettre en les rendant aujourd’hui publics.
Nous verrons bien ce qu’apportera l’expertise. »
L’affaire est loin d’être entendue et le gouvernement parle d’un
horizon de plusieurs mois pour voir le bout du tunnel. La prudence est de
mise également du côté des propriétaires de l’exploitation porcine
réunis au sein de la société AGPI.
L’achat n’est pas la seule option sur la table et eux privilégient
d’ailleurs toujours la possibilité d’échanger ce bien immobilier
contre un autre. Vice-président du conseil d’administration de la firme
AGPI, Jan Čech laisse entendre que les négociations seront encore
difficiles :
« Je pense que le prix de négociation sera simplement une introduction.
D’autres discussions et d’autres conditions seront ensuite importantes.
Si le prix d’achat est intéressant, nous pourrons passer à une nouvelle
étape. Si ce n’est pas le cas, il est probable que nous remettions sur
la table nos demandes. »
Les discussions durent en fait depuis le début de l’année dernière
d’après le ministre en charge des Droits de l’homme Jiří Dienstbier.
Annoncé comme l’une des possibles victimes du remaniement ministériel
voulu par le premier ministre, le social-démocrate a fait de l’affaire
de Lety l’une de ses priorités :
« Je pense que c’est une dette énorme de la République tchèque à
l’égard des victimes de l’holocauste rom en même temps qu’un
problème international. Je pense que nous devrions insister sur sa
résolution. »
Les personnes qui militent de longue date pour que disparaisse
l’exploitation porcine de Lety sont pourtant loin d’exulter. Il suffit
de se plonger dans les archives de Radio Prague pour constater qu’on
parle de résoudre le problème depuis plus de dix ans. Et sur le réseau
social Facebook, un groupe de militants rappelle que nombreuses sont les
promesses faites par le passé restées lettre morte.
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