Gypsy MaMa : des vêtements pour lutter contre les préjugés
Foulards, blouses, sacs ou pantalons… Les produits de la marque Gypsy
MaMa sont généralement très colorés. Inspirés des collections du
Musée de la culture rom, mais aussi de différents styles et modes de la
rue, ces vêtements sont conçus, cousus et vendus avec l’aide de jeunes
Roms vivant dans des localités socialement exclues de Brno, la capitale de
la Moravie. Lancé par l’ONG Tripitaka, Gypsy MaMa n’est donc pas
seulement une marque commerciale. C’est avant tout un projet social qui
propose un espace ouvert aux jeunes défavorisés qui souhaitent mettre en
valeur leurs qualités, mais aussi leur culture et leur tradition.
Gypsy MaMa est une nouvelle marque de mode vestimentaire qui entend
renouer, de manière innovante, avec la tradition de l’industrie textile,
qui, à Brno, remonte à la fin du XVIIIe siècle. Mais pas seulement.
Gypsy MaMa se veut aussi une marque qui respecte les principes du commerce
équitable et un projet social qui permette de mieux intégrer les jeunes
Roms issus des localités défavorisées de la ville de Brno, désignées
parfois comme le « Bronx » tchèque, dans la société, tout en
bénéficiant de leur potentiel créatif. C’est pour cette raison que
l’entreprise propose à des volontaires du DROM, le centre rom de Brno,
de participer à la création et à la vente de ses produits. Directeur
marketing de la marque, Zdeněk Raiser explique les principales raisons qui
ont abouti à la naissance de cette initiative :
« La situation des Roms en République tchèque ne s’améliore pas. Ils
manquent d’éducation. A Brno, il y a même des problèmes avec la drogue
ou même la prostitution enfantine. Mais le plus grave, c’est le chômage
de longue durée et l’impuissance des Roms à faire face à ce problème.
Ils ne voient aucune perspective pour se libérer de leurs conditions,
c’est-à-dire de leur famille qui les tient dans cet état
d’impuissance et puis de leur niveau insuffisant de formation. Ils
achèvent leurs neuf années obligatoires de scolarité, mais ils ne
continuent pas parce que ce n’est pas considéré comme nécessaire par
la famille. Les jeunes filles se marient, ont des enfants et ne sont plus
éduquées du tout, tandis que les jeunes garçons se contentent d’un
travail quelconque, du moins s’ils en cherchent et en trouvent un. Mais
c’est parfois difficile car ils n’ont ni formation, ni expérience, ni
l’habitude de travailler. »
Créé il y a trois ans de cela et ouvert officiellement en 2015,
l’entreprise offre de deux à trois emplois à temps partiel à des
personnes âgées de moins de 25 ans, et ce pour une période de six mois.
Le travail est destiné notamment (mais pas uniquement) à de jeunes mères
roms, souvent adolescentes, qui risquent autrement d’être isolées à la
maison avec leurs enfants. Grâce à cette possibilité, les participants
au projet peuvent obtenir des expériences et la motivation nécessaire
pour chercher ensuite un autre emploi :
« Ils peuvent acquérir justement ces habitudes de travail. Ce n’est
pas évident de pouvoir compter sur eux. Il faut qu’ils comprennent
qu’ils doivent travailler régulièrement, pas comme à l’école où
ils peuvent parfois s’absenter, mais aussi qu’ils doivent être à
l’heure et d’autres choses fondamentales de ce type. Il s’agit de
leur premier emploi et c’est la raison pour laquelle nous sommes assez
patients. Mais nous avons aussi défini des règles claires. »
Cependant, d’après Zdeněk Raiser, Gypsy MaMa veut avant tout
promouvoir la tolérance et la compréhension au sein de la société :
« Notre objectif plus commun est d’élargir cette marque également
dans la société majoritaire. En achetant nos produits, celle-ci pourrait
voir que les Roms sont capables de faire quelque chose de bien. Nous
voulons donc lutter contre les préjugés par l’intermédiaire de la
mode. »
Le projet Gypsy MaMa a été créé selon le modèle d’une marque déjà
existante de vêtements roms, la Romani Design, basée en Hongrie et
lancée par Erika Varga. A la différence de l’entreprise hongroise, les
vêtements Gypsy MaMa ne sont pas conçus directement par des amateurs
roms, mais par six jeunes modélistes et designers professionnels de
Brno.Où puisent-ils donc leur inspiration ?
« Nous allons au Musée de la culture rom à Brno qui possède une grande
collection de vêtements et de bijoux traditionnels. Le modéliste peut
donc se familiariser avec ce style, il reçoit des catalogues, il peut
prendre des photos… Et ensuite il dessine. Le résultat : une série qui
reflète les vêtements des Roms, mais aussi des vêtements qui sont à la
mode chez les jeunes. »
Et comment participent au processus de la création des vêtements les
premiers concernés, les Roms ? Ils collaborent régulièrement avec les
modélistes sur la fabrication des produits et les vendent, depuis
l’année dernière, dans une boutique de mode « Restart », rue
Kopečná, dans le centre de Brno :
« Nous organisons des ateliers lors desquels le modéliste rencontre des
Roms et discute de mode avec eux. Il peut également les laisser dessiner
quelque chose. Bref, il les aide et les dirige jusqu’à ce qu’ils
arrivent tous ensemble au résultat souhaité. Pour l’instant, nos jeunes
volontaires ne sont pas des tailleurs très habiles. Ils fabriquent donc de
petits détails ou ils coupent le tissu et se perfectionnent petit à
petit. Actuellement, ils sont uniquement des employés. A l’avenir, nous
voudrions qu’ils prennent part également à la direction de
l’entreprise. Mais celle-ci est pour l’instant trop petite et se
développe toujours. Il est donc peut-être trop tôt pour réaliser cette
idée. Pourtant, nous ne sommes pas des usurpateurs et nous saluerons au
contraire chaque initiative allant dans ce sens. »
En mai dernier, cette idée de l’ONG Tripitaka de faire participer des
Roms à la création de leur propre marque de mode a été récompensée
par le plus ancien prix attribué aux innovations sociales en Europe
centrale et orientale, Sozial Marie, qui est décerné à Vienne en
Autriche depuis 2005. De son côté, Zdeněk Raiser se félicite également
des impacts visibles du projet sur l’avenir des participants :
« Le projet est plutôt réussi. Deux filles ont déjà passé avec
succès ce programme de six mois. Une d’elles a ensuite trouvé du
travail, elle fait du nettoyage. Je sais que quand on dit ça, cela ne
semble pas extraordinaire. Mais c’est bon pour elle. Ce travail répond
à ses possibilités et elle a un salaire régulier. Et le fait qu’elle
travaille est déjà un succès en soi. Il y avait un garçon qui, lui
aussi. a travaillé pour nous pendant six mois. Il nous a ensuite annoncé
vouloir être comédien. Nous avons été un peu sceptiques à cette idée,
mais nous lui ont trouvé un travail dans un théâtre. Il est placeur et
il peut ainsi au moins faire la connaissance du milieu. »
Financée par la fondation danoise The Velux Fundation, la société Gypsy
MaMa entend devenir autosuffisante d’ici à deux ans. Zdeněk Raiser
présente les plans d’avenir :
« Nous avons l’idée de faire de la marque Gypsy MaMa une marque rom
globale. Nous avons donc des projets très concrets, qui n’en sont
toutefois encore qu’au stade de projets. Nous sommes basés à Brno, mais
nous voudrions prochainement nous élargir à Prague et ailleurs en
République tchèque. Puis éventuellement en Slovaquie, à Vienne, en
Europe centrale ou dans les pays des Balkans. Nous voudrions lancer une
coopération avec des Roms locaux et ainsi nous étendre petit à petit.
Cela peut ressembler à un rêve, mais pourquoi pas ? »
Ce rêve commence d’ailleurs à partiellement se réaliser puisque les
vêtements de la marque Gypsy MaMa seront prochainement proposés dans une
trentaine de boutiques un peu partout en République tchèque.
Plus de détails sur le projet : www.gypsymama.cz.
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