Vers une indemnisation des victimes de stérilisation forcée
300 000 couronnes, soit environ 11 000 euros. C’est la somme que
pourraient recevoir de nombreuses femmes tchèques, essentiellement
d’origine rom, victimes de stérilisation forcée entre 1966 et 2012.
C’est en tout cas le sens d’un projet de loi préparé par le ministre
en charge des droits de l’Homme Jiří Dienstbier (ČSSD) et qui doit
encore être discuté dans le cadre du conseil législatif du gouvernement.
Après les excuses du gouvernement Fischer en 2009, l’élaboration de ce
projet de loi visant à indemniser les femmes stérilisées sans leur
consentement pendant des dizaines d’années, est un nouveau pas vers la
reconnaissance de leur traumatisme. Nombre de femmes, essentiellement
d’origine rom, ont été stérilisées illégalement, sans jamais avoir
été informées des conséquences. Une pratique répandue avant 1989 : les
auteurs du projet de loi, estiment qu’il s’agit là d’une forme
d’eugénisme et rappellent qu’elle touchait aussi des femmes
considérées comme « problématiques », « inadaptées » par le régime
communiste, parmi elles les femmes roms donc, mais également les personnes
handicapées ou aux opinions divergentes. Seulement, ces stérilisations
illégales n’ont pas cessé avec le retour de la démocratie.
Au début des années 1980, Monika Gorolová a été stérilisée contre
sa volonté. Elle témoignait récemment pour la radio tchèque :
« Je suis allée à l’hôpital pour une interruption de grossesse. Nous
avions un petit appartement et je ne pouvais pas me permettre d’avoir un
troisième enfant. J’étais couchée sur un brancard, ils m’ont amenée
en salle d’opération et juste avant d’y entrer, ils ont brandi un
papier en me disant de le signer. Après l’opération, le médecin-chef
est venu me voir et m’a annoncé qu’on m’avait stérilisée. Je lui
ai demandé des explications et il m’a dit que je ne pourrai plus jamais
avoir d’enfant. J’ai fondu en larmes. Ma vie en a été bouleversée,
car depuis je me sens comme inférieure. »
Tout comme Monika Gorolová, de nombreuses autres femmes d’origine rom
ont subi le même traitement, mises devant le fait accompli après avoir
signé un papier dont elles ne comprenaient pas le sens, ni les
conséquences, ou souvent forcées de s’incliner sous la menace qu’on
leur retire leurs enfants ou qu’on leur supprime leurs aides sociales.
C’est l’ancien médiateur de la République, Otakar Motejl qui, au
début des années 2000, s’est intéressé le premier à ce problème,
après avoir recueilli les plaintes d’environ 80 victimes.
Depuis, la République tchèque a été maintes fois critiquée par
diverses organisations internationales et appelée à réagir. En 2011, le
commissaire pour les droits de l’Homme du Conseil de l’Europe avait
qualifié ces stérilisations forcées de « violation brutale et
systématique des droits de l’Homme ».
Difficile toutefois de dire avec précision combien de femmes seraient
concernées par d’éventuelles compensations financières. Les
estimations du projet de loi tablent sur une fourchette pouvant aller de 25
millions de couronnes à 2 milliards de couronnes. Selon la vice-ministre
en charge des droits de l’Homme, Martina Štěpánková, les
indemnisations concerneraient deux types de cas :
« Cela toucherait les femmes qui ont donné leur accord sous pression ou
par exemple, pendant l’accouchement. La deuxième catégorie de femmes
concernées sont celles qui étaient mineures au moment de l’intervention
chirurgicale et celles soumises à une rétention d’une partie de leurs
droits civiques. »
Une ombre au tableau toutefois si l’on évoque l’éventuel processus
de demande d’indemnisation. Pour Lucie Rybová, du Comité Helsinki, de
nombreuses victimes pourraient avoir du mal à présenter des preuves
concrètes du caractère illégal et forcé de leur stérilisation, sans
compter qu’elles pourraient se retrouver dans une situation où ce serait
leur parole contre celle du personnel médical :
« Prouver leur droit sera sans aucun doute difficile pour les victimes.
Difficile en termes de temps, mais aussi en termes d’argent, parce que
dans certains cas, cela va devoir donner lieu à un vrai travail de
détective. »
De nombreuses propositions d’indemnisation se sont déjà retrouvées
sur la table du législateur par le passé, et pourtant, mis à part les
excuses officielles du gouvernement tchèque en 2009, aucun de ces projets
n’a abouti. Et si ce nouveau projet de loi se veut ambitieux, le ministre
en charge des droits de l’Homme Jiří Dienstbier (ČSSD), ne va pas
avoir la tâche facile pour l’imposer. Le ministre des Finances de la
coalition gouvernementale au pouvoir, Andrej Babiš (ANO) a déjà fait
connaître son opinion sur le sujet. Et pour lui les choses sont claires :
les excuses officielles suffisent, et les victimes ont tout loisir de
s’adresser aux instances judiciaires pour défendre leurs droits. Or, à
l’heure actuelle, aucune femme ayant porté plainte auprès des tribunaux
et réclamant des compensations n’a finalement vu sa demande aboutir.
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