Le logement social en République tchèque : s'inspirer du modèle
français?
Les expulsions dans le quartier de Přednadraží à Ostrava, en Moravie du
Nord, et la détermination des habitants, à majorité rom, à rester dans
des habitations insalubres illustrent l’urgence de penser le
développement du logement social en République tchèque. Dans un pays ou
ce système semble peu ou mal agencé, l’Agence tchèque pour
l’intégration sociale organisait début octobre un séminaire avec
l’Office public de l’habitat (OPH) du département de la Meuse pour
connaître l’approche développée en France autour du logement social et
peut-être s’en inspirer.
Cette rencontre entre divers spécialistes de la question du logement,
l’Agence gouvernementale pour l’intégration, et deux représentants de
l’OPH de la Meuse, l’établissement public compétent en matière de
logement social en France, devait permettre une confrontation entre leurs
diverses expériences. Seulement, « confrontation » n’est sans doute
pas le terme approprié, puisque dans le domaine du logement social, la
République tchèque semble au point mort là où la France a depuis
longtemps construit et enrichit une approche opérante, certainement
perfectible par ailleurs. La veille de la conférence, un premier
séminaire avait permis aux représentants de l’OPH de la Meuse de
partager leur savoir-faire. Sylvie Mermet-Grandfille, qui en est la
directrice nous fait part de ce qui a étonné la partie tchèque lors de
cet échange :
« Je crois qu’ils sont curieux de voir comment est versée l’APL
(Aide personnalisée au logement, ndlr). Comment l’Etat aide directement
les locataires. Ce qui les a beaucoup intrigué hier, c’est la manière
dont on laisse en place un locataire ou comment il se trouve expulsé.
L’expulsion en France est vraiment devenue extrêmement marginale. Un
locataire, on essaie toujours de le garder dans son logement. Et ça, ça a
beaucoup interrogé nos partenaires tchèques. »
L’actualité récente tchèque met en lumière une gestion différente
des expulsions puisque la mairie social-démocrate d’Ostrava, en
Moravie-Silésie, a demandé en août dernier à plusieurs familles, à
majorité rom, de quitter leur logement du fait de leur insalubrité. Une
grande partie de ces habitants ont refusé de quitter leur domicile et un
avis d’expulsion a été émis. A l’heure actuelle, en novembre, la
plupart d’entre eux sont restés dans ces logements et s’apprêtent à
y passer l’hiver alors que l’accès en eau potable n’y est pas même
assuré. Les associations se sont insurgées contre cette situation,
critiquant notamment le fait que la mairie n’aie jamais songée à
réhabiliter ou au moins à entretenir un minimum ce quartier avant de
prendre ces mesures d’expulsion. Certains pensent qu’il s’agit là
d’une opération visant à déplacer ces populations rom comme cela a pu
être le cas dans la ville de Vsetín avec le maire chrétien-démocrate
Jiří Čunek.
Sylvie Mermet-Grandfille remarque qu’en France, la question de la
mixité sociale est primordiale et selon elle, celle-ci se passe
généralement très bien sauf dans certains territoires ou la densité
urbaine est très importante. Bien que les pratiques en France soient bien
établies et s’inscrivent dans le cadre d’une législation fournie,
elles ne peuvent être simplement transposées à la République tchèque
selon Jan Snopek, l’analyste en charge du logement social au sein de
l’Agence pour l’intégration, laquelle organisait la rencontre. Cette
dernière peut cependant être riche d’enseignements :
« Il est vrai que l’expérience française s’est construite dans un
contexte historique complètement différent de ce qui a pu se passer ici.
Néanmoins, il y a toute une série de choses qui ont été mises en
évidence lors de cette conférence. Au moins, cela permet d’élargir
notre imagination sur ce qui est théoriquement possible de réaliser dans
ce pays même s’il serait niais de s’imaginer que l’on puisse copier
le système français ici. »
L’OPH de la Meuse a ainsi été créé en 1919 et le logement social
s’est donc développé en France tout au long du XXe siècle. Karel
Kubišta est d’origine tchèque. Il est également directeur de la
maîtrise d’ouvrage de l’OPH de la Meuse et revient sur ce contexte
particulier propre à la République tchèque et plus généralement aux
anciens pays communistes :
« Ce qu’il faut savoir, c’est qu’avant 1989-1990, tous les
logements étaient sociaux en quelque sorte puisque c’était des
logements qui appartenaient de facto à l’Etat. Cependant il faut
relativiser cette expression de ‘logement social’ parce que tous les
locataires se sont appropriés leur logement, ils pouvaient en disposer.
Ces logements pouvaient être transmis par héritage à d’autres membres
de la famille et pouvaient même être cédés parfois contre une
indemnité. Pour moi, c’était donc de faux logements sociaux. Après
1990, les choses changent parce qu’au lieu de promouvoir le logement
social en République tchèque, l’Etat a privatisé des logements. Les
immeubles ont été vendus à des bailleurs privés qui ont pu augmenter
les loyers après l’abrogation de la loi sur la limitation des loyers.
Les locataires ont été chassés. C’était forcément néfaste pour les
personnes ne pouvant pas payer de leur loyer ; souvent les personnes
âgées qui avaient des retraites très faibles. »
Il n’est guère étonnant dans ce cas que dans un rapport sur
l’inclusion sociale des Roms dans plusieurs pays d’Europe et notamment
en République tchèque, le Centre européen pour les droits des Roms note
que beaucoup d’entre eux jugent leur situation vis-à-vis du logement
social moins bonne que durant la période communiste. Le logement social
n’aurait pas de réalité concrète en République tchèque. On écoute
Karel Kubišta :
« Aujourd’hui en République tchèque, il n’y a pas réellement de
logements sociaux. Vous avez encore aujourd’hui par exemple des logements
coopératifs, ‘družstevní byty’. Mais là aussi, vous êtes
actionnaire au sein de la coopérative et vous disposez toujours du
logement donc vous pouvez céder à quelqu’un vos actions, voire vendre
votre logement. »
En parallèle, il existe un système de logement à loyer dit « régulé
», qui devait logiquement prendre fin cette année, mais qui dans les
faits perdure. Ils concernent les personnes qui étaient déjà
propriétaires de leur domicile avant la chute du communisme. Difficile
cependant de considérer qu’ils répondent à une logique de logement
public puisqu’ils sont parfois utilisés par des individus dont les
revenus leur permettraient sans problème d’occuper un autre habitat. Le
problème de la République tchèque serait lié à l’inexistence d’une
volonté politique pour faire évoluer les choses. C’est en tout cas
l’avis de Jan Snopek :
« Il n’y a pas de volonté politique et je crains qu’il n’y en ait
pas non plus à l’avenir. C’est évidemment compréhensible dans la
mesure où nous traversons une période de crise économique et la tendance
est bien plus à économiser sur les dépenses publiques plutôt que de
s’embarquer dans le domaine du social au sein duquel le logement est
certainement un élément essentiel. »
Mais il ne s’agit pas seulement d’avoir la volonté politique, il est
également nécessaire d’avoir une vision d’ensemble à travers un plan
de développement cohérent comme le remarque Karel Kubišta :
« Je pense que la République tchèque devrait se doter des outils qui
justement existent en France. Il s’agit d’outils législatifs mais
aussi opérationnels. Aujourd’hui par exemple, ce sont les communes qui
gèrent les logements mais elles ne sont pas structurées. Chaque bailleur
social en France est bien structuré en plusieurs secteurs : financement,
construction, gros entretien, etc. Aujourd’hui, on ne sait pas vraiment
ce que font ces communes tchèques. Visiblement, ils ne savent pas utiliser
les leviers à leur disposition pour ‘prendre le taureau par les
cornes’ et commencer à faire quelque chose. Il ne faut pas également se
défausser des biens immobiliers que les communes possèdent. C’est
important, il ne faut pas privatiser à tout-va parce que ce n’est pas
rendre service aux populations à faible revenu. D’un autre côté, il
faut faire attention, chaque commune ou chaque bailleur devrait avoir un
plan stratégique du patrimoine. En Pologne par exemple, ils ont essayé de
créer des équivalents des organismes HLM et ça n’a pas du tout marché
car ils n’avaient pas de plan stratégique. »
En Pologne, on a ainsi construit de façon irréfléchie. En conséquence
de quoi, les entreprises se sont endettées, les loyers ont donc augmenté
pour compenser ces pertes et les nouveaux logements ont connu une vacance
relativement importante. En République tchèque, si une révolution en
matière de logement social ne semble pas à l’ordre du jour, il serait
toutefois inexact de dire que le gouvernement ne fait rien. Jan Snopek :
« Ce n’est pas simple. Le gouvernement s’est mis d’accord l’an
dernier sur une conception de sa politique en matière de logement
jusqu’à l’horizon 2020 dont l’une des fonctions est de trouver une
solution pour le logement social. Cela devrait être fait l’an prochain.
Mais pour l’instant, c’est seulement à l’état de discussion et il
n’est pas encore possible de se faire une idée de la direction qui sera
prise pour faire prudemment évoluer les choses. »
Concrètement il pourrait s’agir d’une nouvelle loi ou de l’ajout
d’un ou de plusieurs paragraphes à une loi déjà existante. Parmi les
mesures envisagées, se trouve notamment l’obligation pour les communes
d’assurer des logements sociaux pour les personnes vivant dans des
habitations insalubres, peut-être donc à l’image de la loi SRU en
France qui impose aux villes de disposer de plus de 20% de logement social.
Le débat en République tchèque réduit souvent la question du logement
social aux problèmes sociaux que rencontre la population rom mais pour Jan
Snopek, il faudrait l’ouvrir à de nouvelles catégories de population.
Il pense surtout aux personnes âgées, aux jeunes ou aux personnes
handicapées qui, dans un contexte de crise économique, rencontrent de
plus en plus de difficultés à se loger décemment. Sylvie
Mermet-Grandfille insiste pour sa part sur le fait que le logement social
ne devrait pas constamment renvoyer à l’idée qu’il s’adresse aux
plus pauvres, aux plus démunis, mais contribuer à rendre aux gens leur
dignité :
« On essaie de faire du logement de qualité pour que le locataire qui a
des revenus faibles ait le sentiment de vivre dans quelque chose de
qualité et qu’il en retire une certaine fierté. »
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