Ecoles ‘spéciales’ pour les enfants roms : la République tchèque
toujours montrée du doigt
Le commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe était en
République tchèque la semaine dernière. Depuis sa prise de fonctions en
avril dernier à Strasbourg, le Letton Niels Muižnieks a fait de la
communauté rom, minorité la plus vulnérable en Europe, une de ses
priorités, avec l’éducation. Le commissaire effectuait cette visite en
République tchèque cinq ans après l’arrêt rendu par la Cour
européenne des droits de l’homme, qui avait reconnu la République
tchèque coupable de bafouer le droit des enfants roms à une éducation
sans discrimination en les plaçant dans des écoles dites « spéciales
». Bien que destinées à des élèves souffrant d’un léger handicap
mental, ces écoles spéciales regroupent en effet en réalité
essentiellement des enfants roms. Cinq ans après cette condamnation, les
choses n’ont peu ou pas évolué en République tchèque. Au micro de
Radio Prague, Niels Muižnieks a expliqué pourquoi dans la suite de
l’entretien dont la première partie a été diffusée vendredi dernier.
« Ce qui a beaucoup freiné voire empêché les avancements ces cinq
dernières années, ce sont surtout les changements de ministre des
l’Education. Il faut bien aussi reconnaître que ce n’est pas un
dossier très populaire. C’est clair. Mais en même temps, des
changements sont nécessaires, parce que ce problème coûte très cher à
la République tchèque. Cette formation dans les écoles spéciales
revient deux fois plus cher que dans les écoles normales, sans parler du
coût social, car ces jeunes Roms, une fois sortis de ces écoles, n’ont
pas de possibilités pour poursuivre leur éducation ou trouver un bon
emploi. Or, si on ne dispose pas d’institutions et d’écoles mixtes,
cette ségrégation devient un terreau pour le racisme, les préjugés et
la discrimination dans la vie plus tard. »
Vous avez évoqué la volonté politique (cf. 1ère partie de
l’entretien :
http://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/),
mais celle-ci se manifeste-elle par des faits concrets sur le terrain ?
« Oui, il s’agit surtout d’avoir un plan clair pour que
l’éducation fasse partie des priorités et ainsi se donner les moyens
financiers pour soutenir celle-ci. Il faut expliquer à la société quels
sont les objectifs dans ce domaine et affirmer que nous entendons les
atteindre malgré l’opposition. On peut mesurer les progrès sur la base
de données concrètes et avec la coopération de la société civile.
Jusqu’à présent, on est en présence de déclarations de bonne
volonté, mais maintenant, ce que l’on souhaite, c’est voir prises et
appliquées des mesures concrètes. »
Avez-vous des moyens de pression pour que les choses évoluent et que le
gouvernement se montre plus actif ?
« Me concernant, il s’agit surtout de les convaincre de la nécessité
d’agir. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, lui, peut
mettre un peu de pression politique. Il analyse les mesures prises par le
gouvernement. Moi, je reviendrai dans deux ans pour observer une nouvelle
fois l’évolution des choses et avec un rapport éventuellement pour
aider le gouvernement. Pour le reste, non, je n’ai pas les moyens de
forcer le gouvernement à faire quoi que ce soit. Mais je crois que c’est
uniquement avec de la bonne volonté et la coopération du gouvernement et
de la société civile que la situation pourra s’améliorer. »
La situation actuelle est-elle propre à la République tchèque ou la
retrouve-t-on dans d’autres pays en Europe ?
« On la retrouve dans beaucoup de pays européens. On assiste presque
partout à une ségrégation et à une marginalisation des Roms. Ici, on
est dans une situation avec un système d’éducation séparée. Cela
existe également ailleurs, la différence en République tchèque est
qu’il s’agit déjà de la deuxième génération. Beaucoup de parents
ont fréquenté ces écoles spéciales. L’effet du système est donc
assez profond ici. Mais encore une fois, nous sommes confrontés à ce
même défi dans un grand nombre de pays. Ce n’est donc pas uniquement un
problème tchèque. »
Evoquer la volonté politique et les mesures qui seront mises en place
pour que la situation évolue favorablement est une chose. Vous parlez de
discrimination, mais en matière d’intégration, n’avez-vous pas aussi
le sentiment que les Roms, eux non plus, ne font pas tous les efforts
nécessaires pour mieux s’intégrer ? En résumé, ne manque-t-il pas non
seulement une réelle volonté politique, mais aussi une meilleure volonté
de la minorité rom ?
« Oui, il est clair que le rôle des Roms eux-mêmes, et surtout des
parents, est très important. On voit les effets de cette scolarisation
dans ces écoles spéciales sur beaucoup de parents. Ceux-ci se disent que
ce n’était pas si mal pour eux, alors pourquoi pas pour leurs enfants.
Cela signifie qu’il faut travailler avec les parents pour qu’ils
souhaitent une meilleure scolarisation de leurs enfants. Il faut les
convaincre que c’est dans leur intérêt. Il y a déjà de très bonnes
choses qui sont faites par les ONG et les associations. Par exemple, ils
commencent à travailler dans les crèches non seulement avec les petits
enfants, mais aussi avec les mères. Il est très important que celles-ci
comprennent ce qu’est l’information, l’éducation, à quoi servent
les livres, l’école, etc. Donc, oui, il y a une responsabilité des
parents et plus généralement de la communauté rom, mais il ne faut pas
non plus oublier que c’est un problème qui a une longue histoire ; une
longue histoire d’exclusion, de marginalisation et de discrimination. La
plus grande responsabilité repose donc sur les épaules du gouvernement et
de la majorité. »
Lors de cette visite en République tchèque, vous vous êtes rendu dans
une école à Kladno. Qu’y avez-vous vu ? Ou plutôt qu’a-t-on bien
voulu vous montrer ?
« Effectivement, j’ai visité une école spéciale à Kladno. On m’a
dit qu’on ne connaissait pas le pourcentage de Roms inscrits. Du moins
officiellement. Parce que, sinon, on sait bien que 100 % des élèves sont
des Roms. Alors, oui, j’ai vu un bâtiment fantastique, des enseignants
très bien, mais ça n'en reste pas moins une école séparée. J’ai
été le témoin de discussions très intéressantes entre les
représentants du gouvernement et les autorités locales qui défendaient
l’école. C’est évident qu’il existe un grand intérêt pour
maintenir le système actuel en l’état, même si celui-ci n’est bien
ni pour les Roms ni pour la République tchèque dans son ensemble. Il va
donc falloir beaucoup de temps, d’énergie et de volonté politique pour
que les choses évoluent dans le sens que nous souhaitons. Et parmi les
enfants que j’ai vus à l’école, il y en avait peut-être un qui avait
des problèmes psychiatriques. Mais pour les autres, même si je ne suis
pas un spécialiste, il ne m’a pas semblé qu’ils avaient des besoins
spéciaux au niveau psychiatrique ou psychologique. Ce sont surtout des
enfants qui ont besoin du soutien de leurs enseignants, de leurs parents et
des autorités locales. »
Vous avez également visité l’hôpital psychiatrique de Bohnice à
Prague…
« Oui, et c’était très intéressant, car c’est aussi un
environnement ségrégué dans un hôpital énorme avec 1 300 patients. Les
responsables de l’hôpital savent que les choses ne peuvent pas rester en
l’état et qu’une désinstitutionalisation est nécessaire. Cela
signifie que, à l’avenir, la plupart des patients vivront dans leurs
communautés avec les services sociaux et médicaux sur place. Mais en
arriver là, à savoir retirer les gens des hôpitaux, réclame aussi du
temps, de l’énergie et des moyens. Ce qui est particulièrement
difficile, c’est qu’on veut voir des conditions meilleures dans les
hôpitaux, mais on ne veut pas renforcer ce système où les gens vivent
dans des environnements ségrégués. Les responsables sont conscients que
des changements vont intervenir. Ce qui m’a frappé, c’est que la
législation tchèque est très progressiste. Au niveau des possibilités
juridiques, il va y avoir un changement énorme dans un peu plus d’un an.
Il y a actuellement 22 000 personnes qui n’ont pas la capacité juridique
pour décider elles-mêmes de ce qu’elles veulent faire. Mais ce qui
m’inquiète, c’est que je ne vois pas encore les préparatifs pour
franchir ce grand pas. Au ministère de la Santé, ils m’ont dit qu’ils
étaient prêts, mais au ministère de la Justice, je n’ai rien vu qui
m’ait convaincu. Or, pour être efficace, cette nouvelle législation va
exiger une coopération très étroite entre les juristes, les médecins et
les autres professions pour analyser la capacité de ces gens à décider
par eux-mêmes du service qui pourrait les aider. C’est donc un bel
objectif, très progressiste, mais j’espère que cela s’accompagnera
d’une formation et de préparations importantes avant début 2014, car je
suis inquiet de voir que le terrain n’est pas encore préparé pour
l’application de cette réforme. »
Suite au jugement qui a été rendu en 2007, avez-vous suivi
l’évolution de la situation des quatorze requérants roms auxquels la
Cour européenne avait donné raison ?
« J’en ai rencontré quelques-uns cette semaine, parce qu’il y avait
toute une série de conférences et de séminaires. Ce sont des jeunes gens
très actifs qui ont eu beaucoup de courage il y a cinq ans. Ils ne veulent
pas que leurs enfants aillent dans des écoles spéciales. Ce qui est
important, c’est de casser de cycle de séparation et de ségrégation
dans les écoles. Et c’est pour ces gens comme ceux en question, pour ces
gens prêts à lutter, que nous devons travailler. »
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