Enfants roms dans les « écoles spéciales » : 5 ans après la
condamnation par la Cour européenne, la situation n’a guère évolué
En novembre 2007, la Cour européenne des droits de l’homme avait
condamné la République tchèque qu’elle estimait coupable de bafouer le
droit des enfants roms à une éducation sans discrimination en les
plaçant dans des écoles dites « spéciales ». Spéciales, ces écoles
le sont parce qu’elles sont initialement destinées à des élèves
souffrant d’un léger handicap mental. Mais en réalité, ces
établissements regroupent essentiellement des enfants roms dont une très
grande majorité ne souffrent d’aucun handicap. Cette semaine, le
commissaire en charge des droits de l’homme au Conseil de l’Europe a
effectué une visite en République tchèque pour constater si la situation
avait évolué depuis le jugement rendu il y a cinq ans. Au micro de Radio
Prague, Nils Muižnieks a répondu à cette première question et à
d’autres encore :
« Pas beaucoup ! L’arrêt rendu par la Cour européenne est un jugement
très important. Elle a estimé qu’il y avait une discrimination
indirecte des Roms qu’en République tchèque. Que la plupart des jeunes
Roms étaient placés dans des écoles pratiques ou ‘spéciales’. Cinq
ans après l’arrêt, on voit que ces écoles existent toujours,
qu’elles sont fréquentées par beaucoup de Roms et que, finalement, rien
ou presque n’a changé. Le gouvernement et le ministère de l’Education
manifestent certes de la bonne volonté, il y a des changements dans la
législation, mais pas beaucoup jusqu’à présent sur le terrain. »
Selon vous, que faudrait-il faire pour que la situation s’améliore ?
Même en République tchèque, certaines ONG ou encore l’ombudsman
récemment critiquent régulièrement le fait que la part des élèves roms
dans les écoles spéciales reste très importante, ce qui peut laisser à
penser que rien n’est vraiment fait en réalité…
« Je suis d’accord. Je crois qu’il faut supprimer ces écoles
pratiques et spéciales. Il faut que les enfants roms soient scolarisés
dans des établissements normaux, car il y a très peu d’enfants roms qui
souffrent d’un retard intellectuel. Oui, je crois qu’ils ont besoin
d’un soutien particulier, ‘spécial’ pourrait-on dire, mais cela ne
signifie pas les placer dans des écoles séparées. Non seulement
financièrement mais aussi socialement, cela coûte très cher d’avoir un
système ségrégé d’éducation avec une qualité d’enseignement bien
moindre que dans les écoles normales. »
« Alors, effectivement, que faut-il faire ? Je crois d’abord qu’il
faut arrêter avec tous ces tests psychologiques pour des enfants qui sont
encore en bas âge. Deuxièmement, si on soumet ces enfants à des tests,
cela doit surtout servir à identifier les moyens pour les aider dans des
écoles normales, et non pas pour les mettre dans des écoles séparées.
Troisièmement, il faut promouvoir la formation des enseignants pour aider
les élèves. Il faut également que cesse l’opposition des non-Roms
contre l’intégration et soutenir les familles roms, surtout celles qui
ont des petits enfants. Il faudrait que ceux-ci fréquentent des crèches
ou autres établissements de ce type afin de les préparer à une formation
normale. Le gouvernement tchèque est conscient de cette nécessité de
commencer avec les plus petits avant qu’il ne soit trop tard. Il est bien
conscient aussi qu’il existe une forte opposition à cette réforme.
C’est pour cette raison qu’il est important d’avoir une réelle
volonté politique. »
Lors de cette visite en République tchèque, vous vous êtes rendu dans
une école à Kladno. Qu’y avez-vous vu ? Ou plutôt qu’a-t-on bien
voulu vous montrer ?
« Effectivement, j’ai visité une école spéciale à Kladno. On m’a
dit qu’on ne connaissait pas le pourcentage de Roms inscrits. Du moins
officiellement. Parce que, sinon, on sait bien que 100 % des élèves sont
des Roms. Alors, oui, j’ai vu un bâtiment fantastique, des enseignants
très bien, mais ça n'en reste pas moins une école séparée. J’ai
été le témoin de discussions très intéressantes entre les
représentants du gouvernement et les autorités locales qui défendaient
l’école. C’est évident qu’il existe un grand intérêt pour
maintenir le système actuel en l’état, même si celui-ci n’est bien
ni pour les Roms ni pour la République tchèque dans son ensemble. Il va
donc falloir beaucoup de temps, d’énergie et de volonté politique pour
que les choses évoluent dans le sens que nous souhaitons. Et parmi les
enfants que j’ai vus à l’école, il y en avait peut-être un qui avait
des problèmes psychiatriques. Mais pour les autres, même si je ne suis
pas un spécialiste, il ne m’a pas semblé qu’ils avaient des besoins
spéciaux au niveau psychiatrique ou psychologique. Ce sont surtout des
enfants qui ont besoin du soutien de leurs enseignants, de leurs parents et
des autorités locales. »
Nous vous proposerons l’intégralité de l’entretien avec Nils
Muižnieks, commissaire en charge des droits de l’homme au Conseil de
l’Europe, dans une prochaine émission.
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