Urs Karpatz : faire revivre le chant tsigane en voie de disparition
Au festival Khamoro cette année étaient présents de nombreux groupes de
musique tsigane traditionnelle ou plus contemporaine. Parmi les ensembles
de passage à Prague, Urs Karpatz, un groupe venu de France, qui s’est
produit jeudi à Prague et doit se produire ce samedi soir une seconde
fois. A l’origine d’Urs Karpatz, l’histoire extraordinaire de
Dimitri, « gadjo » de Bretagne qui s’est très tôt pris d’affection
pour ces gens qu’on dit « du voyage ». Une histoire qu’il a racontée
en détails à Radio Prague.
Dimitri, pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas votre musique, comment
caractériseriez-vous Urs Karpatz et la musique que vous jouez ? Est-ce un
orchestre ? Vous êtes assez nombreux…
« Urs Karpatz est un groupe un peu particulier, dans la mesure où
c’est un groupe qui a vu le jour il y a vingt ans. Nous allons
d’ailleurs fêter cet anniversaire l’an prochain avec trois concerts
exceptionnels à Paris à L’Européen. C’est un groupe qui dans une
première période, n’était formé que de quelques musiciens, pour
accompagner un spectacle d’ours que je donnais. Petit à petit, ce groupe
s’est constitué musicalement. On est passé de trois à neuf personnes.
En 1998, j’ai décidé de professionnaliser le groupe. C’est avant tout
un groupe lié au chant tsigane, ethnique, sur lequel on a fait un gros
travail pour éviter qu’il ne disparaisse, qu’on a remis au goût du
jour, pour certains, et d’autres qu’on a enrichis au niveau du texte
parce qu’il ne restait que des fragments. »
Ce n’était que de la culture orale qui pouvait se perdre…
« Tout à fait. Les choses se perdaient petit à petit avec les
changements de génération. Parallèlement les musiciens travaillant avec
moi étant excellents, cela étoffait le répertoire. »
D’où viennent tous ces musiciens ?
« Au début, certains étaient issus d’origine tsigane de Grèce,
d’ex-Yougoslavie… Petit à petit, ça s’est resserré. Tous vivent à
une quelque centaine de kilomètres à la ronde en Roumanie. »
Comment faites-vous pour vous rencontrer ?
« Depuis vingt ans, ce sont des gens qui ont un permis de séjour en
France. Personnellement, j’ai toujours fait l’effort pour qu’ils
puissent retourner le plus souvent chez eux, pour éviter qu’ils ne se
déracinent en France. »
Pourriez-vous détailler votre répertoire et avez-vous des compositions
personnelles ?
« Le répertoire est issu de choses traditionnelles, de chants en voie
d’extinction. On a aussi quelques compositions personnelles, tout en
gardant l’esprit traditionnel tsigane. »
Quels sont les thèmes de ces chants ?
« Les chants traditionnels chez les Roms sont souvent liés à la
manière dont se déroule leur vie : la famille, les déplacements et aussi
les affrontements avec les non-Tsiganes. »
Dans vos compositions, reprenez-vous ce type de thèmes, ou en
trouvez-vous des nouveaux, plus d’actualité ?
« On les reprend peu. Les textes sont moins traditionnels, plus
poétiques, plus riches en vocabulaire aussi, quand c’est possible. Car
la langue tsigane est une langue très pauvre. Cela peut être des thèmes
religieux, ou par rapport au contexte social des Roms dans les sociétés
occidentales. En tout cas, c’est beaucoup plus personnel et plus
poétique. »
Quel est votre public ? Ce sont des Roms et des non-Roms ?
« Ce sont à 98% des non-Roms. Donc en général, on donne les
explications des chansons. Et parfois il y a des Roms, mais peu. Sauf dans
les cas de pèlerinage comme aux Saintes-Maries-de-la-Mer. »
Vous êtes d’origine bretonne. Comment êtes-vous arrivé à la culture
rom ?
« J’ai eu une vie un peu spéciale dès tout petit. Ceux qu’on
appelait à l’époque les ‘Romanos’ stationnaient non loin de là où
j’habitais. Dès tout petit, je m’enfuyais pour les rejoindre, aller
chez eux. Evidemment, j’avais droit à une raclée au retour ! Je voulais
partir avec eux. J’ai eu une jeunesse pas très heureuse qui a fait que
ce sont des gens que j’ai fréquentés pendant toute cette période. »
Vous avez appris la langue…
« A l’époque, pas spécialement. Quand on est enfant, on ne cherche
pas forcément à apprendre une langue, mis à part bien sûr les insultes
et les gros mots ! De fil en aiguille, aimant aussi beaucoup le chant, mon
contact avec eux a perduré pendant des décennies. Quand les pays de
l’Europe centrale étaient sous le joug soviétique, je me suis rendu
très souvent dans ces pays sous couvert de visa touristique. »
Comment vivaient ces populations roms à l’époque ? Cela devait être
différent selon les pays…
« Cela changeait selon les pays. Dans les pays comme la Roumanie,
l’ex-Yougoslavie, voire la Russie, ils n’étaient pas dangereux
politiquement, donc on les a laissés libres de se déplacer et de se
nomadiser. Dans d’autres pays, on les a muselés, on a cassé toutes
leurs roulottes et tué leurs chevaux et on les a implantés là où ils se
trouvaient, voire dans certains pays, on les a stérilisés. »
Cela a été le cas en Tchécoslovaquie…
« Tout à fait. C’est vrai que j’ai assisté à l’époque, en
Slovaquie, à des choses assez dramatiques. »
Vous avez sillonné l’Europe à cette époque-là. Il y a un tournant
dans votre vie, en Bosnie. C’est de là qu’est né Urs Karpatz.
Pouvez-vous nous raconter cette histoire ?
« Vers 1983, 1984, je me suis retrouvé très lié avec des Roms de
Serbie. Avec mon amie, on est partis, on savait quelles routes ils
prenaient entre mars et octobre. Ces gens-là parcourent les routes avec
des ours. On s’est beaucoup liés d’amitié avec eux. Un jour, au bord
d’un lac, j’ai vu un enfant du chef de la tribu en train de se noyer.
Je n’ai pas hésité, je suis allé le récupérer. C’est là qu’on
m’a offert un ourson. Et il a fallu gérer le cadeau empoisonné ! »
Comment l’avez-vous géré ?
« Evidemment, je n’ai pas pu le refuser. Je m’en suis occupé pendant
des années. En France, au travers des fêtes médiévales, j’ai renoué
avec la tradition des montreurs d’ours. Et j’ai introduit un, deux puis
trois musiciens tsiganes. Parce qu’avant d’être ariégeoise ou
française, c’était une tradition tsigane. Autrefois, ils étaient
montreurs d’animaux, certains avaient des ours. Ils ont parcouru la
France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Quand ils sont passés dans les
Pyrennées, notamment en Ariège, les habitants de la région, très
pauvres, ont eu l’idée de devenir aussi montreurs d’ours, vu qu’il y
en avait plein dans les montagnes. »
Avez-vous toujours des ours aujourd’hui ?
« Oui, j’ai mes trois plus vieux ours qui vivent paisiblement leur
retraite en Bretagne. Ils ont 27 et 28 ans. »
Ça vit longtemps un ours…
« Ça vit entre 20 et 25 ans, mais en captivité, s’ils ont un bon
équilibre, ils peuvent atteindre 40 ans. »
Que vous apporte cette vie pleine de musique, de tournées ?
« Des emmerdes… de plus en plus ! (rires) Parce que le temps imparti à
la musique et à faire ce qu’on aime est de plus en plus réduit, car il
y a de plus en plus d’obligations, d’administratif. Par les temps qui
courent, on sait que la culture, surtout populaire, est mise à mal. Mais
je dis souvent que la liberté est le droit de se contraindre soi-même. »
Est-ce que vous ressentez un regain de racisme anti-rom en Europe ou
est-ce dans la lignée d’une tradition de rejet ?
« Les choses vont et viennent. Je pense que petit à petit les choses
vont plutôt vers l’inverse du racisme. Mais il y a des relents, des
modes. Et puis, c’est tellement facile de s’attaquer à des gens qui
sont faibles et qui n’ont pas de lobby pour se défendre… »
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