« Mon voisin, mon ennemi » : les relations entre Roms et non-Roms
au théâtre national tchèque dans un contexte particulier
« Mon voisin, mon ennemi » : c’est le titre de la nouvelle pièce
présentée pour la première fois ce soir dans l’Atelier du théâtre
national de Prague. Le thème, choisi il y a quelques mois, porte sur les
relations entre Roms et non-Roms et a une résonnance bien particulière à
un moment où les tensions ethniques dans certaines villes du pays font la
une de l’actualité.
Le violon tzigane de Vojtěch Lavička est bien présent dans plusieurs
scènes. Il se définit comme « artiste-activiste » et fait ses débuts
sur les planches dans cette pièce qui réunit acteur professionnels du
théâtre national et acteurs amateurs comme lui. Grand défenseur de la
cause rom et de l’entente entre ethnies, Vojtěch Lavička n’a pas voulu
manquer l’opportunité de jouer pour une des plus prestigieuses
institutions de la culture tchèque :
« Il faut que les artistes s’efforcent de parler des thèmes
d’actualité, et en faire une pièce de théâtre est fantastique parce
que c’est rare le théâtre documentaire et politique, encore plus rare
au théâtre national. C’est très symbolique d’avoir choisi ce thème
brûlant de l’actualité. Pour moi en tant que Rom, c’est même un peu
drôle parce que cette institution est un symbole de la culture dont les
Tchèques ethniques sont fiers depuis 150 ans, et maintenant les Roms sont
entrés au théâtre national, c’est fantastique. »
Thème brûlant de l’actualité tchèque, les relations interethniques
le sont depuis quelques semaines, après deux incidents violents en Bohême
du nord, qui ont provoqué des manifestations d’habitants de plusieurs
villes contre la minorité rom et ceux que les Tchèques appellent les «
inadaptables ». Pour Vojtěch Lavička, le problème est plus social que
racial :
« C’est un problème social. Les gens n’ont pas de travail. Les
blancs, qui ne sont pas beaucoup mieux lotis, sont énervés parce qu’ils
ont l’impression que les Roms font du bordel - ceux que certains font
réellement. Mais quand vous allez mal, vous cherchez un coupable ; donc
ils ont trouvé ceux qui sont considérés comme des parasites, qui vivent
aux crochets de ceux qui travaillent. La situation empire et
malheureusement le gouvernement et les parlementaires ne s’y intéressent
pas. »
La pièce « mon voisin, mon ennemi » a été montée dans le cadre du
programme « Entrée de secours », financé par l’Union européenne et
l’union des théâtres de l’Europe. Pour la metteuse en scène Viktorie
Čermáková, travailler sur un thème ethnique et la situation des Roms
était une première :
« Il a fallu que je lise beaucoup, que je rencontre et parle avec
beaucoup de gens en peu de temps. Maintenant que je connais plus la
question je suis très en colère, mais je ne veux pas être pessimiste,
parce que nous croyons que la culture peut rapprocher les nations et
qu’elle peut d’une certaine manière changer quelque chose dans le
cœur des gens. »
Un des autres acteurs amateurs de la pièce connaît bien la question :
Ladislav Goral fait partie des commissions gouvernementales pour les
minorités depuis une vingtaine d’années, dans un pays qui compte
aujourd’hui environ 250 000 Roms et plus de 400 ghettos :
« La société majoritaire a oublié qu’il y a ici des Roms, qu’il y
a des gens différents des habitants d’origine. Il y a aussi des hommes
d’affaires qui gagnent de l’argent en faisant déménager les Roms des
grandes villes dans certaines localités, où ils sont regroupés, sans
éducation et sans travail. C’est déjà dur de trouver un travail quand
on a un diplôme, alors imaginez un Rom qui n’a été qu’au primaire ou
qui sort d’une école spéciale pour les enfants à problèmes. Comment
voulez-vous qu’il trouve une place sur le marché du travail ? »
S’il n’y a pas de place pour les Roms sur le marché du travail, il y
en aura en tout cas plusieurs gratuites au théâtre national de Prague
pour voir cette pièce « mon voisin, mon ennemi » qui tente de refléter
une situation tendue que le gouvernement tchèque s’efforce tardivement
d’améliorer. Un enjeu qui n’est pas seulement tchèque mais bien
européen : les questions relatives aux Roms vont faire ce jeudi l’objet
d’un Sommet des maires organisé à Strasbourg par le Conseil de
l’Europe.
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