Zbyněk Andrš et ses voyages à la découverte du peuple rom
Début juillet, le film « Cigán » (Gypsy) du réalisateur slovaque
Martin Šulík a été primé au Festival international du Film de Karlovy
Vary. Il raconte l’histoire d’un jeune Rom dans un village défavorisé
de l’Est de la Slovaquie. Aujourd’hui, nous parlerons justement de ses
« colonies » tziganes en Slovaquie avec l’ethnologue Zbyněk Andrš.
Quelque 250 000 Roms vivent actuellement sur le territoire tchèque et
environ 400 000 en Slovaquie. Comme partout dans le monde, cette population
est loin d’être homogène : la majorité écrasante des familles roms en
République tchèque viennent justement de Slovaquie, on trouve ici
également des Sinti et des Roms Olah. A savoir que les Roms tchèques
n’existent presque plus : 90% de la population rom autochtone a péri
dans les camps de concentrations nazis. D’après l’invité de ce
magazine, l’ethnologue Zbyněk Andrš, ce manque d’expérience
personnelle avec les Roms « du pays » est partiellement responsable
d’une certaine aversion des représentants de la société majoritaire à
l’égard de leurs concitoyens roms.
Zbyněk Andrš, 55 ans, compte parmi les plus grands spécialistes
tchèques dans les domaines de la langue, de la culture et de la
civilisation roms. Il a étudié l’ethnologie, le romani et l’hindi à
l’Université Charles de Prague, il enseigne, lui-même, le romani à
l’université de Pardubice, donne des conférences et effectue des
recherches sur la vie, la langue et les traditions des Roms, recherches
liées notamment à ses séjours dans des ‘colonies’ roms en Slovaquie
orientale. Zbyněk Andrš parle et enseigne également le romani kalderash,
il explique :
« Le romani kalderash est intéressant, parce que c’est le dialecte rom
le plus répandu, et aussi le plus vivant dans le monde. Il est parlé par
des Roms dans tous les pays européens, je crois, ainsi qu’en Ukraine et
dans les grandes villes russes ou encore aux Etats-Unis, au Canada, au
Mexique, en Amérique latine et même en Afrique du Sud. Le romani
kalderash pourrait donc servir de langue universelle de communication entre
les Roms, étant donné que les autres dialectes diffèrent beaucoup et
sont largement influencées par la langue du pays. »
Le goût du voyage et de l’aventure, Zbyněk Andrš l’a peut-être
hérité de son père, Bohuslav Andrš, né en 1926, à la frontière de
l’Ukraine et de l’actuelle Moldavie, dans un village tchèque, appelé
Česká Alexandrovka, et fondé par les exilés évangéliques tchèques au
début du XXe siècle. Bohuslav Andrš est revenu dans l’ancienne
Tchécoslovaquie en 1945, en tant que soldat de l’Armée du général
Svoboda – une unité militaire tchécoslovaque formée pendant la guerre
en URSS. Par ailleurs, les Mémoires de Bohuslav Andrš sont actuellement
diffusées par la station Vltava de la Radio tchèque.
Avant de commencer à s’intéresser aux Roms, le jeune Zbyněk Andrš
partageait, avec les autres Tchèques, des idées stéréotypées sur ce
peuple :
« Pour moi, un Rom, c’était un ouvrier-terrassier, ou quelqu’un qui
traine dans la rue et dont il faut se méfier. Je n’ai pas pensé qu’il
y avait un peuple aussi attirant pour un ethnologue, et même pour un
historien et un linguiste. Mais il est vrai qu’à l’époque, je
m’intéressais déjà aux Indiens. »
A la fin des années 1970, Zbyněk Andrš entreprend un premier périple
au sud-est de l’Europe :
« Mon premier grand voyage m’a emmené dans les Balkans et en
ex-Yougoslavie. Partout, j’ai vu des Roms. D’abord en Hongrie, mais
surtout en Roumanie. C’étaient des Roms nomades qui circulaient à bord
des chariots tirés par des chevaux. J’ai vu une colonne d’une
quinzaine de chariots, les femmes et les enfants étaient assis dedans, sur
la paille, les hommes marchaient à côté. Ils étaient habillés de
façon traditionnelle. Cette image-là m’a marqué. Lors de mon deuxième
voyage, je me suis rendu en Bulgarie, en Macédoine, au Monténégro, en
Serbie, au Kosovo. Là encore, j’ai rencontré des Roms nomades, les Roms
Gurbet de Bosnie ou encore les Roms musulmans de Macédoine et j’ai pu
aussi les aborder. J’ai compris que l’idée que je me faisais
auparavant des Roms a été tout à fait stéréotypée, fade et
superficielle. »
Suite à ces voyages, Zbyněk Andrš s’inscrit aux cours de langue et
civilisation roms, enseignés dans une école de langues du centre de
Prague. Depuis ce temps-là, il va régulièrement à la rencontre des Roms
en Roumanie, en ex-URSS et, le plus souvent, en Slovaquie, dans la région
de Spiš. Ces dernières années, il entreprend ces voyages en compagnie de
sa femme Kateřina, musicologue, et, l’été dernier, leur fille
Bohdanka, alors âgée d’un an, a également fait le déplacement en
Slovaquie orientale.
Aujourd’hui, à l’époque où les Roms sont informés, grâce aux
médias et à l’Internet notamment, de leur passé, leur culture et leur
langue, l’arrivée d’un gadjo parlant le romani dans une ‘colonie’
ne surprend plus personne. Mais cela n’était pas le cas il y a vingt
ans. Zbyněk Andrš :
« Sous le régime communiste, quand j’allais chez les Roms en
Slovaquie, j’étais confronté à des réactions différentes. Certaines
personnes m’ont tout de suite accepté, elles m’ont pris pour un Rom et
se sont comportées de manière tout à fait naturelle avec moi. Mais je me
souviens aussi de ce qui m’est arrivé un jour à la campagne, près de
Stakčín : j’ai demandé quelque chose, en romani, à un groupe de
femmes. Cela les a tellement amusé qu’elles étaient tordues de rire.
Pendant environ cinq minutes, je leur parlais en romani et elles me
répondaient en slovaque, non pas parce que ces femmes ne connaissaient pas
la langue rom, mais parce qu’elles n’arrivaient pas à comprendre
pourquoi je leur parlais ainsi. C’était pour elles comme un sketch à la
télévision. »
Comment a donc changé, depuis une vingtaine, une trentaine d’années,
la vie dans les colonies roms en Slovaquie ?
« Elles ont beaucoup changé, mais pas dans leur ensemble. Sous
l’ancien régime, ces colonies ont souffert de pauvreté. Les gens
vivaient dans des cabanes faites de n’importe quoi, de briques non
cuites, de traverses par exemple. Ces cabanes se sont conservées. Mais à
côté, vous pouvez voir des villas et des voitures de luxe appartenant à
quelques-uns des habitants des colonies qui ont réussi à bien gagner leur
vie. Mais ils ne sont pas vraiment nombreux. Il existe donc des
différences sociales énormes dans ces colonies où tous les habitants
sont liés par des liens familiaux, ce qui créé évidemment des tensions.
Certains Roms aisés ont des ambitions politiques : il existe actuellement,
je crois, une dizaine de maires roms en Slovaquie, ce qui a, bien sûr, des
côtés positifs et négatifs. »
L’intégration des Roms continue de poser problème en République
tchèque aussi. Dernier exemple en date : le maire de la commune de Nový
Bydžov, en Bohême de l’est, a accusé les Roms de la hausse de la
violence dans la région. Il a même convoqué un rendez-vous des maires
d’une cinquantaine de villes «problématiques » du point de vue de la
cohabitation des Roms avec la société majoritaire. Zbyněk Andrš :
« D’abord, je refuse de parler de la ‘question rom’, du
‘problème des Roms’. Ce langage implique le constat qu’il existe un
problème causé par les Roms. C’est un problème de toute la société.
Il serait faux de dire que les Roms sont les victimes, discriminées par la
société majoritaire. Mais on ne peut pas non plus affirmer le contraire :
dire que les Roms sont les méchants que la société majoritaire essaie,
en vain, de cultiver, d’éduquer, d’employer. Quant à ce cas concret
de Nový Bydžov, il paraît qu’il s’agit d’une seule famille qui
pose des problèmes là-bas, c’est une famille de Tziganes (je ne dis pas
de Roms, parce qu’ils ne parlent plus le romani entre eux, mais le
hongrois). Ils sont arrivés récemment du sud de la Slovaquie. Les autres
habitants roms vivent dans cette ville depuis plus longtemps et maintenant,
ils sont, par un concours de circonstances, intégrés dans ce groupe
d’habitants ‘non adaptables’. Ce terme m’effraie, il évoque le
vocabulaire des nazis. A Nový Bydžov, c’est un problème local. Les
autorités devraient agir exactement comme le stipule la loi, sans raviver
la rancune. »
Ajoutons que la situation à Nový Bydžov, dans la région de Hradec
Králové, devient préoccupante : une importante manifestation
d’extrémistes de droite et de gauche devrait s’y dérouler le 12 mars
prochain.
Rediffusion du 6/11/2010
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