L`Année du Coq : confession d’une mère adoptive
Un couple élève trois enfants, deux fils adoptifs et un fils biologique.
Les deux fils adoptifs sont Roms. Ce n’est pas facile, cela pose
énormément de problèmes mais c’est quand même possible, jusqu’à
l’adolescence des deux fils lorsque les choses se gâtent pour de bon. La
mère adoptive doit se rendre à l’évidence : cette famille pour
laquelle elle et son mari ont fait tant de sacrifices, se désagrège. La
période cruciale pendant laquelle la mère réalise que son rêve est
impossible est le sujet principal du livre que son auteure Tereza
Boučková a intitulé « L’Année du Coq ».
Tereza Boučková n’est pas un nouveau visage de la littérature
tchèque. Déjà en 1990 elle a obtenu le Prix Jiří Orten pour son
recueil de trois récits intitulé « La Course des indiens ». La vie de
Tereza Boučková, née en 1957, a été difficile. Fille de l’écrivain
dissident Pavel Kohout, elle signe juste après son baccalauréat la Charte
77, appel des intellectuels tchèques au respect des droits de l’homme,
et attire sur elle la colère du régime communiste. Pour gagner sa vie
elle est donc obligée de devenir successivement femme de ménage, facteur
et concierge.
Après la chute du communisme elle peut publier ses textes, elle écrit
une série de feuilletons pour les journaux et aussi des scénarios de
films. Déjà dans son scénario pour le film « Smradi - Les Morveux »
qui sort en 2002, elle aborde le sujet douloureux qui l’a profondément
marqué. Elle raconte l’histoire d’une famille avec deux enfants roms
adoptifs, histoire de sa propre famille. Tandis que dans le scénario elle
évoque l’enfance de ses enfants adoptifs, dans le roman « L’Année du
Coq », publié six ans plus tard, elle raconte leur adolescence qui a
été peut-être la plus grande épreuve qu’elle ait subie :
« Je prenais des notes pendant la pire année de ma vie. C’était un
conseil de M. A. J. Liehm. C’est lui qui m’a conseillé de prendre des
notes quand je ne pouvais faire rien d’autre. Mais dans ces notes je ne
faisais que m’apitoyer sur mon sort. C’est dans ces notes que je
pleurais parce que je ne pouvais pas le faire ailleurs. Vous ne pouvez pas
embarrasser tout le monde avec ça. (…) Quand j’ai réalisé que
personne ne pouvait m’aider, quand j’ai enfin eu le courage de
résoudre le problème et de faire face à la désapprobation des gens,
j’ai commencé à me ressaisir. Quand les garçons sont partis et ont
pratiquement quitté notre vie, je me suis mise à retravailler ces notes
et à en faire un roman. J’espère que ce livre n’a pas qu’un
caractère documentaire, ce n’est pas un documentaire. J’espère que
j’ai réussi à en faire de la littérature, un livre fort qui parlera
même quand son sujet et moi-même serons oubliés. »
Impossible de raconter ici toutes les péripéties de ce roman qui évoque
entre autre un choc entre deux mentalités opposées, un choc qui est
d’autant plus douloureux qu’il se produit au sein d’une famille.
Après être parvenus au seuil de la maturité, les deux fils roms Dominik
et Marián refusent de plus en plus souvent d’obéir aux règles de la
vie familiale. A la vie commode mais disciplinée que leur proposent leurs
parents, ils préfèrent la liberté de la rue, sans obligations et sans
surveillance et s´évadent de plus en plus souvent de la maison de leurs
parents adoptifs. Cette vie en marge de la société, dans les milieux où
la délinquance, le vol et la drogue sont chose courante, est cependant
incompatible avec la vie de famille. Les parents font d’innombrables
tentatives pour assagir ces enfants récalcitrants, pour leur redonner
l’envie de revenir à la maison et le goût de petites obligations
quotidiennes. C’est inutile, la distance entre eux et leurs fils adoptifs
devient de plus en plus évidente. Inutile de leur donner toujours de
nouvelles occasions pour recommencer à vivre normalement parce que leur
sens de la normalité est déjà complètement différent. Ils préfèrent
vivre dans la rue, dans des conditions hygiéniques précaires,
pratiquement hors la loi et n’hésitent pas de voler leurs parents quand
l’occasion se présente. Profondément déçue, la mère finit par
réaliser qu’une étape de sa vie est en train de s’achever. Elle doit
accepter le fait que dans la vie de chaque homme il y a des moments
cruciaux et des hasards qui forment finalement sa vie et sa destinée :
« Je dois dire que je préférerais de ne pas écrire ce livre. Je
voudrais mieux être contente de mes garçons, avoir le plaisir de voir
qu’ils vivent une bonne vie, une vie responsable. Mais cela ne s’est
pas fait. Et je dois dire que quand j’écrivais les diverses versions
littéraires de mon roman, avec chaque version une partie de mon terrible
chagrin et ma sensation de vanité me quittaient. Mais ce n’est pas parce
que je me serais dit : Voilà, maintenant tu es célèbre parce que tu as
écrit ce livre.’ Non, c’était vraiment une thérapie. Les
psychologues et les psychiatres disent : ‘Débarrassez-vous de vos
problèmes en les décrivant.’»
Tereza Boučková a donc vaincu ses problèmes en les décrivant mais elle
doit faire face aussi à des réactions de gens qui n’ont pas toujours de
compréhension pour ses actes. Ceux qui la condamnent disent qu’elle
n’aimait pas assez ses enfants adoptifs. La rupture avec Dominik et
Marián marquera aussi ses rapports avec son fils biologique et avec son
mari :
« Bien sûr, par moments ces problèmes désagrégeaient notre mariage.
Mais je dois dire que les liens entre les époux ayant décidé de faire un
tel pas et d’admettre dans leurs vies deux enfants venant d’ailleurs,
les liens qui ne se désagrègent pas pendant cette période, doivent être
extrêmement forts. Il est vrai que nous, mon mari et moi, avons été
terriblement fatigués et même complètement épuisés mais cela nous a
aussi beaucoup attachés l’un à l’autre. Nous avons surmonté
l’étape de fatigue matrimoniale et nous sommes parvenus à une période
où nous nous aimons beaucoup. Nous avons subi ensemble une certaine
épreuve et cela compte. »
Le roman « L’Année du Coq » n’est cependant pas que la description
d’une rupture. La palette de ses thèmes est beaucoup plus riche. A la
crise familiale s’ajoute aussi la crise créatrice et l’auteure se rend
compte que les sources de son inspiration sont taries. Elle ne cesse
cependant de continuer à écrire, de chercher de nouveaux thèmes et de
nouvelles activités artistiques. Elle réagit aussi très vivement à la
situation politique, commente la vie de tous les jours, entretient
plusieurs amitiés. Elle avoue être sensible au charme d’un homme qui
n’est pas son mari et décrit minutieusement aussi les crises de son
mariage qui sont souvent très orageuses. Ainsi Tereza Boučková compose
une mosaïque d’une vie, mais aussi celle d’une société et d’une
époque. Elle jette également un regard critique et parfois sévère sur
son entourage et elle-même, elle n’épargne personne, mais s’efforce
toujours de rester sincère et de ne pas blesser inutilement :
« Quand j’écris sur ces choses-là, j’ai sans doute le besoin de les
exprimer, mais il faut toujours réfléchir sur le degré de l’ouverture
que vous adoptez. Dans ‘L’Année du Coq’ je suis allée jusqu’à la
limite de la franchise et parfois même au-delà de cette limite. Mais
c’est justement le problème qu’on doit résoudre une fois pour toutes
quand on veut écrire ce genre de littérature. Quand on n’a pas le
courage de décrire ouvertement les choses qu’on vit, il ne faut pas le
faire. Quand vous commencez à vous censurer vous-même, quand vous
réduisez considérablement ce que vous vouliez dire sur vous ou sur les
autres, cela ne va plus. Vous devez vous investir entièrement. »
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