Témoignage d’Elena Gorolová, victime de la stérilisation involontaire des
femmes roms en République tchèque
Elena Gorolová est porte-parole de l’Association des femmes atteintes par la
stérilisation involontaire, qui fait partie de l’Association civique « Vivre
ensemble » (Společné soužití). Elle est ègalement représentante de la
société civile au Conseil gouvernemental tchèque pour les Roms, cherchant à
créer des platformes de comunication conviviale entre les Roms et non-Roms à
Ostrava ainsi qu’à améliorer les conditions de vie des familles dans le
besoin. Elle même a été victime d‘une stérilisation à son insu. Madame
Gorolová parle de son cas dans l’interview avec la journaliste de la
rédaction rom de la Radio tchèque, Jana Šustová.
Comment cela s’est-il passé dans votre cas ?
« C’est arrivé après mon second accouchement en 1990 à l’hôpital de
Vítkovice dans la ville d’Ostrava. L’accouchement a été assez difficile, le
cordon ombilical s’est rompu et il fallait faire une césarienne. Au moment
où j’étais en salle d’accouchement, que j’avais des douleurs atroces et que
je me sentais très mal, une infirmière m’a présenté un document à signer. A
l’instant je n’étais absolument pas capable de réfléchir et de me concentrer
tellement je me sentais mal. Je crois que j’aurais signé n’importe quoi. »
Quand est-ce que vous avez appris ce qu’ils vous ont fait, que vous ne
pourrez plus avoir d’enfants et comment avez-vous réagit ?
« Je l’ai appris le lendemain par le médecin-chef de la maternité.
Lorsqu’il est venu pour la visite, il m’a informé que j’ai été stérilisée et
que je ne pourrais plus avoir d’enfant. J’ai commencé à pleurer. Je n’avais
que vingt et un an et personne ne m’a averti, ni ma maman, parce qu’elle ne
se doutait absolument pas qu’une telle chose puisse arriver. Pourtant je
fréquentais un cabinet de consultation pour accouchement à risque car j’ai
du subir une césarienne lors de mon premier accouchement. Mais même là, le
médecin ne m’a pas informé sur l’éventuelle possibilité d’une stérilisation.
Par la suite j’ai encore appris que j’avais subi une ablation des trompes de
Fallope, ce qui veut dire que l’opération est irréversible. »
Combien de temps avez-vous mis à vous remettre de ce traumatisme et
qu’est-ce que vous regrettez le plus ?
« J’ai mis très longtemps à m’en remettre et je peux dire que cela dure
jusqu’à présent. Nous avons deux fils, dont l’aîné a 21 ans et le cadet 18
ans, mais on voulait avoir encore une petite fille. C’était notre grand
désir, un rêve et encore aujourd’hui, lorsque je vois une poussette avec un
bébé, j’ai des regrets. D’ailleurs lorsque j’apprends qu’un bébé doit
naître, je veux être présente à l’accouchement car je n’ai pas eu l’occasion
de vraiment éprouver le mien. Ma stérilisation s’est répercutée sur nos
relations conjugales parce que mon mari estimait que c’était de ma faute.
Puis, ensemble, nous avons contacté des services sociaux pour avoir des
explications, mais on s’est conduit envers nous de façon grossière et je
suis persuadée que l’on s’est fait rejeté à cause de notre origine rom.
Finalement mon mari a compris et il a commencé à m’aider dans mon travail de
lutte. Je peux dire que je me réjouis déjà lorsque j’aurais des
petits-enfants et que je serais grand-mère. »
Par la suite Madame Elena Gorolová a appris que son cas n’était pas unique
et que beaucoup de femmes roms avaient été stérilisées à leur insu dans
différents hôpitaux tchèques. Elle a contacté l’Association Vivre ensemble,
organisation non gouvernementale à but non lucratif, dont le siège se trouve
à Ostrava en Silésie. L’objectif de l’organisation, dirigée par Kumar
Vishwanathan, est entre autre d’organiser les rencontres des femmes roms qui
ont subit une stérilisation involontaire.
Comment avez-vous appris l’existence de l’organisation Vivre ensemble ?
« J’ai appris son existence et la possibilité de consulter le cas de la
stérilisation involontaire avec les femmes atteintes du même problème en
2004 par télétexte. J’ai été vraiment contente que l’on a commencé à
s’intéresser à notre cas. Comme je ressentais le besoin d’en parler à
quelqu’un, je me suis rendue à l’une des rencontres organisée par
l’association Vivre ensemble, j’ai couché mon cas sur papier et nous avons
envoyé le document à l’ombudsman tchèque. Suite à une enquête approfondie,
plus de 80 plaintes de femmes atteintes par la stérilisation involontaire
sont arrivées auprès de ce dernier.»
Est-ce que vous organisez des rencontres régulières et quel est leur
objectif ?
« Oui, nos rencontres sont régulières et se déroulent dans une ambiance
amicale. L’objectif est de promouvoir le « consentement informé »,
d’informer les femmes sur les droits des patientes, s’axer sur la question
de la stérilisation forcée, obtenir des indemnisations et des excuses
publiques des autorités. Nous menons également une campagne pour une
meilleure considération des femmes par le personnel médical dans les
maternités. Quand je travaille avec toutes ces femmes qui ont subi le même
destin que moi, je me rends compte que c’est un objectif très important. »
L’association Vivre ensemble a donc développé et développe beaucoup
d’activités. Pourriez-vous m’en citer quelqu’une ?
« Bien sûr que oui, avec plaisir. Ce sont par exemple des forums consistant
en des discussions en présence du personnel médical, des femmes, victimes
d’une stérilisation illégale, d’un psychologue et d’un gynécologue, ensuite
nous organisons des conférences d’éducation sanitaire des jeunes filles et
des femmes roms dans les écoles primaires, secondaires et dans les centres
communautaires, axées sur les naissances non planifiées, la stérilisation
involontaire et la prise de la pilule contraceptive. J’estime que cela est
très important car les jeunes filles roms tombent souvent enceintes très
jeune et elles devraient être informées des conséquences de la maternité. »
Est-ce que vos conférences et forums se sont limités à la région
d’Ostrava ou est-ce que vous les avez organisés également dans d’autres
villes ?
« La majorité était organisée à Ostrava mais nous avons aussi donné des
conférences à Olomouc, Karviná, Frýdek-Místek et Bohumín dans le cadre du
projet «Vous n’êtes pas seule», avec le soutien de NROS (Fondation du
développement de la société civique). Le projet a duré 12 mois et chaque
conférence s’est déroulée une seule fois. »
Vous avez aussi organisez des manifestations et des expositions photos
non seulement en République tchèque mais aussi à l’étranger. Pourriez-vous
me dire quelques mots à ce sujet ?
« C’est exact. Précisément il s’agissait d’expositions photos que les femmes
ont prises elles-mêmes. Ces expositions et les manifestations ont eu lieu au
Musée de la culture rom à Brno, partout dans la région d’Ostrava, en France,
à Strasbourg, enfin plus ou moins à travers l’Europe entière. Les femmes
victimes de stérilisation illégale ont aussi témoigné devant le Comité pour
l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes aux Nations Unis.
D’ailleurs nous avons remporté de nombreuses victoires, à titre d’exemple de
plus en plus de femmes se présentent spontanément pour apporter leur
témoignage et le « consentement informé » fait désormais partie du
soi-disant vocabulaire des hôpitaux. Mais bien évidemment il ne faut pas
s’endormir sur ses lauriers et continuer à lutter. Car il y a encore
beaucoup de travail à faire.»
Est-ce que récemment il y a eu des cas de stérilisation illégale en
République tchèque ?
« Voilà, on arrive à la pierre d’achoppement. Malheureusement la réponse est
affirmative. Depuis juillets 2008 il y a eu 20 cas de stérilisation illégale
ont été identifiés. A titre d’exemple, une femme de Frýdek-Místek a été sous
pression psychologique d’une assistante sociale qui l’a menacé de lui enlevé
ses enfants et de les placer en famille d’accueil si elle ne consentait pas
à se faire stériliser. Ce cas a été traduit en justice. »
Comment devrait-on procéder pour éviter une stérilisation involontaire et
quelles sont les démarches à prendre avant une stérilisation ?
« Je pense, que avant de subir une telle intervention, la femme devrait
recevoir un « consentement informé » qui l’informerait des risque de la
stérilisation. Mais il est vrai que la plupart des femmes, même en lisant le
« consentement informé » ne saisissent pas forcément les conséquences de la
stérilisation. Donc un devrait leur fournir des informations détaillées et
les explications nécessaires, surtout les avertir qu’elles ne pourront plus
jamais avoir d’enfants. Je crois que c’est très important car, moi par
exemple, je ne le savais pas, parce que personne ne me l’a dit. Si j’avais
su et que j’avais eu plus de temps à réfléchir, j’aurais réagit
différemment. Bien sûr que si la santé de la femme est mise en danger, il
est préférable de subir la stérilisation. »
Un film documentaire Trial of a child denied (la Plainte de l’enfant
dénié) à ce sujet a été tourné. Comment vous sentiez-vous au cours du
tournage ?
« Psychologiquement c’était pour moi très difficile. J’ai très mal supporté
le tournage et j’ai eu beaucoup de problèmes. J’ai aussi été obligé
d’assumer l’agressivité des médias. Mais je peux dire que c’était un plaisir
de travailler avec productrice Dana Wilson et nous avons développé une
excellente coopération. Elle ne me forçait en rien. C’était difficile mais
je suis contente que ce document a été tourné, qu’il a passé et qu’un grand
nombre de personne l’on vue. Ainsi le large public a été informé de ce qui
s’est passé.»
Quelles sont les activités en vue de l’association Vivre ensemble ?
« Nous aimerions accueillir les femmes de Chánov (ghetto rom dans un
quartier de la ville de Most) qui ont également subi une stérilisation
involontaire, au sein de notre association à Ostrava et les faire participer
aux discussions avec le gynécologue. Malheureusement notre projet se termine
et je suis un peu déçue car j’ignore s’il y aura une suite. C’est dommage
parce que les femmes appréciaient beaucoup nos activités et nos rencontres.
»
Elena Gorolová continue à lutter contre la stérilisation involontaire et le
respect des droits de l’homme. Elle plaide la cause des femmes stérilisées à
leur insu à travers le monde et dans le cadre de différentes conférences,
forums, rencontre et colloques elle parle de son cas pour dévoiler la
vérité. Elle a d’ailleurs expliqué son cas lors d’une manifestation du Haut
Commissariat des Nations Unis aux droits de l’homme à Genève, organisée en
parallèle à la Conférence d’examen de Durban en avril 2009.
|