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Extrême-droite tchèque : quel terreau ?
17-06-2009 - David Alon
Dans le contexte des élections européennes, les groupuscules d’extrême-droite tchèque défraient la chronique depuis plusieurs semaines, dans plusieurs villes du pays. Depuis la chute du communisme, la force politique de l’extrême-droite en République tchèque est nulle, alors comment expliquer, à la lueur du passé, ces résurgences inquiétantes ?

"Un jeune homme originaire de Teplice est soupçonné de soutien et de propagande à des mouvements prônant l’abolition des droits et de la liberté d’êtres humains. Ce jeune homme avait sur son vêtement un symbole nazi."

Ce témoignage récent d’un porte-parole de la police tchèque en fait foi : les groupuscules néo-nazis occupent de plus en plus la scène médiatique, à coups de manifestations et de provocations. Parmi eux, le Parti ouvrier, lequel a donné naissance, à Brno, à Jeunesse ouvrière, qui se réclame ouvertement du national-socialisme. Ces consonances populaires, en fait populistes, résonnent d’une triste - et sûrement bien involontaire – cohérence.

C’est sans doute le potentiel industriel de Bohême-Moravie, qui a permis aux nazis de poursuivre la guerre si longtemps. Indispensable à la machine de guerre allemande, le Protectorat constitue le centre de production d’armement du Reich. La germanisation de la Bohême passe au second plan – on s’en occupera une fois la guerre terminée... Les autorités d’occupation ont reçu pour ordre de ménager si ce n’est de choyer les ouvriers tchèques.

Hitler, lui-même, déclarait, devant ses conseillers, qu’on ne devait pas les maltraiter. Leur ration alimentaire double pendant la guerre, les heures supplémentaires sont particulièrement bien payées, ce qui permet à la production allemande de tourner sept jours sur sept. Comme le souligne l’historien Bernard Michel : « La propagande communiste, après 1945, prétendit que la résistance avait été avant tout faite par les ouvriers, tandis que la bourgeoisie collaborait. Ce fut exactement le contraire. »

Bien sûr, il est impossible de fustiger l’ensemble des ouvriers tchèques pendant la guerre et de parler de collaboration active. Mais l’occupant crée toutes les conditions pour obtenir le maximum de conciliation.

A titre de comparaison, le monde ouvrier allemand offre quelques contrastes. Lors des élections de 1932, il représente encore un pôle de résistance au vote nazi, à l’instar d’ailleurs des milieux catholiques, leurs points communs étant d’avoir su se constituer une identité forte depuis les brimades de Bismarck, qui avait interdit la social-démocratie et persécuté l’Eglise catholique. Ceci ne concerne d’ailleurs pas les ouvriers de la petite production artisanale, qui reportèrent massivement leurs voix pour Hitler.

Emil Hácha et Adolf Hitler " Chers concitoyens, c’est dans une confiance absolue que je me suis décidé à remettre le sort de la nation et de l’Etat tchèque dans les mains du guide du peuple allemand. "

Le président du Protectorat de Bohême-Moravie, Emil Hácha, que l’on vient d’entendre est plus une marionnette entre les mains de Hitler, que le représentant de l’extrême-droite tchèque. Certes, il y a bien eu des collaborationnistes tchèques, partisans convaincus de la nécessité d’une Europe allemande. Mais la Bohême-Moravie connaît une majorité d’attentistes, faute, en outre, d’une tradition d’extrême-droite développée.

Le régime communiste, qui s’installe en 1948, fera de la menace d’une résurgence de l’Allemagne nazie, l’un des moteurs de sa propagande. Et pourtant, au-delà des discours anti-fascistes, il favorisera une xénophobie officielle, qui ne sera pas sans rappeler les années noires : antisémitisme d’Etat, tentative de stérilisation des femmes Roms... C’est pour protester contre un antisionisme importé Moscou, qu’une poignée d’écrivains dissidents, parmi lesquels Ivan Klíma, se rend à Tel Aviv en 1967.

Claude Lanzmann Interviewé sur nos ondes en mars 2008, Claude Lanzmann, réalisateur entre autres, de Shoah, évoquait, avec le cas d’Arthur London, le caractère antisémite des grands procès politiques des années 1950 :

" On l‘avait condamné pour sionisme, en vérité par antisémitisme, et j’ai vu que London entreprenait d’une certaine façon de se relier au judaïsme. Puisqu’on le faisait juif malgré lui, autant le devenir de sa propre volonté. "

Josef Urválek, photo: CTK Il est d’ailleurs étonnant de comparer les photos du procès consécutifs à l’assassinat de Reinhard Heydrich en 1942 et ceux du régime communiste. La mise en scène est la même : les accusés sont assis entre deux gardes, comme compressés. Lanzmann évoque d’ailleurs Urválek, le grand Inquisiteur des procès de Prague vers 1949, dans des termes éloquents :

"C’est un procureur bouché qui s’inscrit dans la lignée des procureurs bouchés comme Freisler en Allemagne à propos du complot du 20 juillet contre Hitler".

Par un national-communisme correspondant bien au complexe stalinien de la citadelle assiégée, le régime a tenté d’encourager le repli sur soi. La mise en avant des traditions folkloriques s’inscrit dans cette optique. Dans l’ensemble, la stratégie a échoué, il suffit de penser aux groupes de rock tchèques dans les années 60, dont nous avons souvent parlé, mais elle a sans doute favorisé le terreau de la xénophobie.

Depuis la chute du communisme pourtant, l’extrême-droite dispose d’une représentation politique nulle en République tchèque. Une exception notable, si l’on pense à l’accession de personnalités de l’extrême-droite à des postes politiques dans plusieurs pays européens depuis quelques années (Autriche, Pologne, Suisse...).

Depuis le début des années 90, des groupes de skin-heads défraient occasionnellement la chronique, symptômes du malaise social qui existe dans certaines villes du nord de la Bohême. Mais les manifestations de plus en plus ouvertes de ces groupuscules montre que les autorités tchèques ont toujours du mal à faire face à ce phénomène. La mise en place d’une juridiction plus stricte constitue sans doute l’un des enjeux à venir.



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