Extrême-droite tchèque : quel terreau ?
Dans le contexte des élections européennes, les groupuscules
d’extrême-droite tchèque défraient la chronique depuis plusieurs
semaines, dans plusieurs villes du pays. Depuis la chute du communisme, la
force politique de l’extrême-droite en République tchèque est nulle,
alors comment expliquer, à la lueur du passé, ces résurgences
inquiétantes ?
"Un jeune homme originaire de Teplice est soupçonné de soutien et de
propagande à des mouvements prônant l’abolition des droits et de la
liberté d’êtres humains. Ce jeune homme avait sur son vêtement un
symbole nazi."
Ce témoignage récent d’un porte-parole de la police tchèque en fait
foi : les groupuscules néo-nazis occupent de plus en plus la scène
médiatique, à coups de manifestations et de provocations. Parmi eux, le
Parti ouvrier, lequel a donné naissance, à Brno, à Jeunesse ouvrière,
qui se réclame ouvertement du national-socialisme. Ces consonances
populaires, en fait populistes, résonnent d’une triste - et sûrement
bien involontaire – cohérence.
C’est sans doute le potentiel industriel de Bohême-Moravie, qui a
permis aux nazis de poursuivre la guerre si longtemps. Indispensable à la
machine de guerre allemande, le Protectorat constitue le centre de
production d’armement du Reich. La germanisation de la Bohême passe au
second plan – on s’en occupera une fois la guerre terminée... Les
autorités d’occupation ont reçu pour ordre de ménager si ce n’est de
choyer les ouvriers tchèques.
Hitler, lui-même, déclarait, devant ses conseillers, qu’on ne devait
pas les maltraiter. Leur ration alimentaire double pendant la guerre, les
heures supplémentaires sont particulièrement bien payées, ce qui permet
à la production allemande de tourner sept jours sur sept. Comme le
souligne l’historien Bernard Michel : « La propagande communiste, après
1945, prétendit que la résistance avait été avant tout faite par les
ouvriers, tandis que la bourgeoisie collaborait. Ce fut exactement le
contraire. »
Bien sûr, il est impossible de fustiger l’ensemble des ouvriers
tchèques pendant la guerre et de parler de collaboration active. Mais
l’occupant crée toutes les conditions pour obtenir le maximum de
conciliation.
A titre de comparaison, le monde ouvrier allemand offre quelques
contrastes. Lors des élections de 1932, il représente encore un pôle de
résistance au vote nazi, à l’instar d’ailleurs des milieux
catholiques, leurs points communs étant d’avoir su se constituer une
identité forte depuis les brimades de Bismarck, qui avait interdit la
social-démocratie et persécuté l’Eglise catholique. Ceci ne concerne
d’ailleurs pas les ouvriers de la petite production artisanale, qui
reportèrent massivement leurs voix pour Hitler.
" Chers concitoyens, c’est dans une confiance absolue que je me
suis décidé à remettre le sort de la nation et de l’Etat tchèque dans
les mains du guide du peuple allemand. "
Le président du Protectorat de Bohême-Moravie, Emil Hácha, que l’on
vient d’entendre est plus une marionnette entre les mains de Hitler, que
le représentant de l’extrême-droite tchèque. Certes, il y a bien eu
des collaborationnistes tchèques, partisans convaincus de la nécessité
d’une Europe allemande. Mais la Bohême-Moravie connaît une majorité
d’attentistes, faute, en outre, d’une tradition d’extrême-droite
développée.
Le régime communiste, qui s’installe en 1948, fera de la menace d’une
résurgence de l’Allemagne nazie, l’un des moteurs de sa propagande. Et
pourtant, au-delà des discours anti-fascistes, il favorisera une
xénophobie officielle, qui ne sera pas sans rappeler les années noires :
antisémitisme d’Etat, tentative de stérilisation des femmes Roms...
C’est pour protester contre un antisionisme importé Moscou, qu’une
poignée d’écrivains dissidents, parmi lesquels Ivan Klíma, se rend à
Tel Aviv en 1967.
Interviewé sur nos ondes en mars 2008, Claude Lanzmann, réalisateur
entre autres, de Shoah, évoquait, avec le cas d’Arthur London, le
caractère antisémite des grands procès politiques des années 1950 :
" On l‘avait condamné pour sionisme, en vérité par
antisémitisme, et j’ai vu que London entreprenait d’une certaine
façon de se relier au judaïsme. Puisqu’on le faisait juif malgré lui,
autant le devenir de sa propre volonté. "
Il est d’ailleurs étonnant de comparer les photos du procès
consécutifs à l’assassinat de Reinhard Heydrich en 1942 et ceux du
régime communiste. La mise en scène est la même : les accusés sont
assis entre deux gardes, comme compressés. Lanzmann évoque d’ailleurs
Urválek, le grand Inquisiteur des procès de Prague vers 1949, dans des
termes éloquents :
"C’est un procureur bouché qui s’inscrit dans la lignée des
procureurs bouchés comme Freisler en Allemagne à propos du complot du 20
juillet contre Hitler".
Par un national-communisme correspondant bien au complexe stalinien de la
citadelle assiégée, le régime a tenté d’encourager le repli sur soi.
La mise en avant des traditions folkloriques s’inscrit dans cette
optique. Dans l’ensemble, la stratégie a échoué, il suffit de penser
aux groupes de rock tchèques dans les années 60, dont nous avons souvent
parlé, mais elle a sans doute favorisé le terreau de la xénophobie.
Depuis la chute du communisme pourtant, l’extrême-droite dispose
d’une représentation politique nulle en République tchèque. Une
exception notable, si l’on pense à l’accession de personnalités de
l’extrême-droite à des postes politiques dans plusieurs pays européens
depuis quelques années (Autriche, Pologne, Suisse...).
Depuis le début des années 90, des groupes de skin-heads défraient
occasionnellement la chronique, symptômes du malaise social qui existe
dans certaines villes du nord de la Bohême. Mais les manifestations de
plus en plus ouvertes de ces groupuscules montre que les autorités
tchèques ont toujours du mal à faire face à ce phénomène. La mise en
place d’une juridiction plus stricte constitue sans doute l’un des
enjeux à venir.
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