Ecrivain Matéo Maximoff vu par Gérard Gartner
Cette année cela fera dix ans que Matéo Maximoff, génie de la littérature
tsigane, Chevalier des Arts et des Lettres en 1986 et lauréat du Prix
International Tsigane des 9 muses en 1987, a quitté ce monde parfois triste
et cruel, pour celui d’une sérénité éternelle. Il est parti à tout jamais
dans la nuit du 24 novembre 1999, suite d’une longue et pénible maladie,
discrètement et avec modestie, si propre à sa personnalité. Mais la mémoire
du grand écrivain vit à travers ses romans et ses poèmes reflétant les dures
conditions de vie des Roms et à travers les souvenirs qu’il a laissés dans
le cœur de ses proches et de ceux qui l’on connu. Le peintre, sculpteur et
écrivain Rom Gérard Gartner était très proche de Matéo Maximoff et après le
décès de ce dernier il a ressenti le besoin de retracer la vie du grand
écrivain à travers son ouvrage biographique « Matéo Maximoff, Carnets de
Route.»
« Matéo est le premier tsigane qui a choisi de prendre le métier d’écrivain.
Son premier roman «Les Ursitory» est sorti en 1946, puis il en a écrit
encore une dizaine dont je citerais « Ce monde qui n’est pas le mien », « Dîtes-le
avec des pleurs », « Savina », « Condamné à survivre». Il est peut-être
l'écrivain tsigane le plus connu. Enfant, je devais avoir dans les onze,
douze ans, j’avais entendu parler de Matéo et je le connaissais de vue car à
l’époque il était déjà connu. Je le voyais parfois aussi dans les familles,
mais je ne lui parlais pas. Nous nous sommes rencontrés par hasard dans les
années soixante. Je me souviens de cette première rencontre comme si elle
datait d’hier. Un ami de Matéo qui était aussi le mien, et qui est devenu
par la suite pasteur comme Matéo, allait sur les brocantes à Montreuil et il
m’a demandé de l’accompagner. Il est arrivé au rendez-vous avec Matéo, qui
d’ailleurs allait souvent au marché aux puces, et il me l’a présenté. Au fil
des ans nous sommes devenus amis malgré la différence d’âge. A l’époque il
était déjà pasteur évangélique et je l’admirais car pour moi il représentait
quelque chose d’important. J’ai beaucoup de souvenirs sur Matéo, des
histoires et des anecdotes, dont j’ai retracé une grande partie dans mon
ouvrage».
Le père de Matéo Maximoff, Grégoire Maximoff dit Lolia, né le 1er juin
1890 en Russie, à Vladicaucase - Ordinikitch, (décédé le 18 octobre 1931 en
France) était un Rom Kalderash. Il a épousé une Manouche de
France. C’était une femme très belle qui est malheureusement morte très
jeune, à l’âge de vingt huit ans, au cours d’une opération bénigne. Matéo
n’avait que huit ans et c’était le premier affrontement avec la dureté du
destin. Quelques années après, ce fut son père qui le quitta pour toujours.
Une vie assez difficile commença pour l’orphelin âgé de quatorze ans. Il
était l’aîné de cinq enfants et devait travailler dur pour faire vivre ses
frères et soeurs qui n’avaient que lui en ce monde. Il passe du métier de
chaudronnier, dont il hérite de son père, à celui de projectionniste
ambulant dans les campagnes. Il écrit son premier roman à l’âge de vingt et
un ans. Puis la Seconde Guerre mondiale éclate et Matéo est interné avec
toute sa famille dans les camps de Gurs et de Lannemezan situés dans les
Pyrénées. Son roman parait avec succès en 1946 et c’est le départ d’une
grande carrière d’écrivain, conteur, cinéaste, journaliste, conférencier et
photographe. Un an après la sortie de son livre Matéo Maximoff devient l’un
des fondateurs des « Etudes Tsiganes». Catholique à l’origine, il se
convertit en 1961 au pentecôtisme et devient bientôt pasteur tout en
continuant à écrire et à exercer d’autres activités. Tout au long de sa vie
il traduit continuellement la Bible en Romanes Kalderash (seul le Nouveau
Testament et les Psaumes sont parus à ce jour. La Bible dans son intégralité
était en projet mais n'a jamais été éditée).
Matéo Maximoff s’est installé dans la banlieue parisienne, mais son esprit
nomade et son sens de la justice l'entraînent à voyager à travers le monde
qu’il sillonnait pour défendre les droits des Tsiganes, faire connaître leur
mentalité, traditions et leur façon de vivre aux Gadjé. Au cours de ses
voyages il est souvent accompagné par Gérard Gartner.
« Pendant quarante années j’ai vécu à ses côtés, je l’accompagnais en
voiture à travers la France et à l’étranger. Je l’écoutais et nous avons
beaucoup parlé. Je trouvais intéressant tout ce qu’il disait. J’ai toujours
été catholique, mais Matéo n’a jamais cherché à me convaincre et il ne m’a
jamais fait de remarque sur ma religion. Je l’emmenais dans les conventions
évangéliques et je revenais le chercher. Quinze ans après avoir fait sa
connaissance, dans les années 70 et 80, j’ai commencé à militer dans
l’association "Initiatives tsiganes" qui regroupe les artistes tsiganes. Je
cherchais des Tsiganes qui faisaient de l’art et je prenais des contacts. Je
ne voulais pas militer dans le social car cela ne m’attirait pas, mais le
culturel : la peinture, la sculpture etc. D’ailleurs j’aime tous les gens
qui font ou qui s’intéressent à l’art et j’essaie de travailler avec eux.
J’aimerais que les gens sachent que les tsiganes sont de remarquables
artistes et cela reste mon objectif,» dit Gérard Gartner, auteur de « Matéo
Maximoff, Carnets de Route».
Lorsque Matéo Maximoff est décédé à l’aube de l’an 2000 Gérard Gartner a
écrit avec l’assistance de la fille de l’écrivain, Nouka Maximoff, la
biographie de son père. Mais auparavant il n’avait jamais pensé à écrire la
vie de son ami Matéo.
«C’est vrai, je n’y ai jamais pensé. Je n’ai même jamais pris de notes sur
ce qu’il racontait. L’idée d’écrire ce livre est venue après son décès.
C’est moi qui me suis chargé de déménager avec sa fille Nouka la maison de
Matéo qui devait être vendue. Il fallait enlever toutes les affaires et les
mettre en dépôt. Je classais toutes ses affaires et faisais des
allers-retours avec ma camionnette. En voyant sous mes yeux les photos et
tous les documents, l’envie m’a pris d’écrire sa biographie. J’ai demandé
l’autorisation à ses enfants et j’ai gardé tout ce qui pouvait être utile.
Le travail sur le livre m’a pris finalement quatre ans.»
Gérard a respecté le deuil et la Pomana, qu’il a d’ailleurs faits pour Matéo
Maximoff, et a attendu pendant une année qu'ils se terminent Ensuite il
s’est mis pendant trois années à un travail acharné et minutieux sur la
biographie de l’écrivain. Gérard Gartner explique le principe de cette
coutume très ancienne, de nos jours déjà révolue.
«La Pomana est une ancienne coutume roumaine qui n’existe plus. Lorsque les
tsiganes roumains sont partis à la libération de l’esclavage en 1870 avec
leurs coutumes, elle s’est répandue dans le monde. Au cours du deuil, la
famille choisit quelqu’un qui prend la place du défunt ou de la défunte
auprès de la famille pendant un an. Son devoir consiste à remplacer le mort
en l’imitant. Il doit parler comme lui, raconter les histoires que le mort
racontait, s’habiller avec sa tenue, bien sûr il y a des variations. Les
Roms de Paris ne pratiquent plus la Pomana, mais pour moi c’était le
prétexte que j’ai choisi pour écrire mon livre. Je me suis incarné comme si
j’étais désigné et dans le livre c’est moi qui parle, mais c’est écrit dans
la première personne du singulier, comme si c’était Matéo qui parlait.»
L’œuvre a eu un grand succès et a valu à Gérard Gartner le Prix Romanès ,
fondé en 1983 par Matéo Maximoff, destiné à promouvoir la culture tsigane.
Il est remis à ceux qui font une action honorifique pour les Tsiganes, un
écrit ou autre action importante. La première fois il a été décerné à
l’historien François de Vaux de Foletier. Entre autre il a été remis à Josef
Koudelka ou Tony Gatlif. Le prix est remis aux Tsiganes tout comme aux non
Tsiganes. Actuellement c’est la fille du grand écrivain Nouka Maximoff qui
s’occupe de faire vivre le Prix Romanès.
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