Tania Magy et son voyage féerique en caravane musée
Lorsqu’elle était à l’école, on lui faisait assez souvent remarquer qu’elle
avait des réactions pas très normales et sauvages. Est-ce que ses réactions
n’étaient pas plutôt naturelles et pas coincées comme celles de ses
camarades de classe?! Habituée à la vie des marchés et du grand air, Tania
Magy était tout simplement différente. Et celui qui est différent et marche
contre le courant est bizarre.
« On me faisait remarquer que mes parents étaient différents parce que ils
étaient forains, mais comme j’ai été élevée dans une école privée et que mes
parents s’impliquaient beaucoup dans la vie de cette école, par exemple en
faisant des stands pour des jeux lors des kermesses, j’ai pris le
contre-pied. J’allais à contre courant de ce que l’on pouvait me dire de
négatif pour découvrir la culture des autre car j’étais et je suis toujours
quelqu’un de très curieux. Par contre il me faut des moments de calme pour
me souvenir de ce qui a été dit ou fait et puis-voir dans quelle mesure cela
peut participer à mon évolution. Je me souviens qu’à l’école je me battais
souvent pour me défendre. Actuellement je ne me bats plus, sauf pour les
idées et j’espère bien de ne plus avoir à me battre avec mes poings»,
raconte Tania ses souvenirs d’enfance avec un rire sincère.
La plasticienne gitane Tania Magy, née en 1972, voyage à travers la France
dans sa caravane musée, qu’elle a crée en 2004. Elle fait découvrir aux
visiteurs de sa caravane les expressions contemporaines et les actions
effectuées par l’intermédiaire de l’Association Art Rom de Voyages de ce
peuple originaire du Bengale. On peut se poser la question pourquoi Tania
qui a fait des études d’arts plastiques à la Sorbonne et dont les recherches
sont axées en particuliers à l’histoire des arts tsiganes a choisit de
sillonner la France avec sa caravane. C’est elle même qui nous dira la
raison de son cheminement.
« Je suis née d’un père gitan que je n’ai jamais connu. Par la suite des
événements j’ai vécu dans une famille de commerçants forains. On a toujours
habité soit dans un HLM ou en chemin car mes parents allaient chercher la
marchandise pour les marchés assez loin. Je pensais souvent à mon père, mais
dans ma famille on ne voulait pas m’en parler. Par contre beaucoup de gitans
autour de moi m’en parlaient et mon seul rêve a été de le retrouver. J’avais
deux solutions dans ma vie : faire les marchés comme mes parents ou faire
des études, j’ai lié les deux grâce aux arts forains. »
Tania a choisit la rupture, faire des études en arts plastiques et de
retrouver son père. Poussée par se désir cuisant elle a entrepris une thèse
sur le sujet de l’art rom et a passé quatre ans sur les routes auprès des
familles tsiganes ou autres nomades.
«Quand je parle de l’art rom, c’est l’art des tsiganes. Je suis allée dans
lieux qui sont aussi fréquenté par d’autres personnes, des gadjé. Au fur et
à mesure j’ai commencé à rencontrer des grands artistes, des artistes moins
connus du grand public, voir inconnus. J’en ai rencontré trois sortes, les
artistes rom (les tsiganes), comme Gérard Gartner, Sandra Jayat, Mona
Metbach, d’autre part des artistes qui sont tout à fait différents, des
gadjé et puis des artistes qui sont entre les deux, c'est-à-dire qui
travaillent tout ce qui est transversal, sur le thème du nomadisme ou du
cirque, un peu comme les personnes qui sont autour de nous à Itinérance.»
(Itinérance est un festival d’artistes qui ne tiennent pas en place. Le
festival s’est tenu pour la premiére fois en avril 2008 à Bruxelles.)
Le fait d’avoir entrepris sa thèse sur le sujet de l’art rom a permis à
Tania Magy de retrouver la trace de son père, malheureusement il venait
justement de décéder.
« Je n’ai donc jamais connu mon père, le destin l’a ainsi voulu. Bien sûr
que j’étais un peu déçue, mais il y avait aussi du positif car j’ai
rencontré pour la première fois mes frères, dont un qui m’a énormément parlé
de lui et qui lui ressemble beaucoup. J’ai pu lui dire ce que je n’ai jamais
dit à mon père. Cela a été pour moi un événement assez fort, dans la mesure
que lorsque j’ai écrit ma thèse, j’ai pensé tout le temps à lui. J’ai
réalisée ma thèse à la Sorbonne, Paris 1, sous la direction du professeur
émérite Jacques Cohen et j’ai dédié toute ma recherche non seulement aux
Roms, mais aussi à mon père. Je me suis dis que puisque mon père était gitan
et qu’il y a tout ce vécu derrière moi, je vais prendre à mon tour la route.
J’avais déjà en tête l’idée de fonder une petite compagnie, une Association.
Pour des raisons pratiques je me suis procuré une caravane, c’est bien plus
facile pour voyager.»
Tania voyage avec sa caravane musée qui renferme le secret et l’histoire de
l’art rom. Comme elle est professeur d’arts plastiques, Tania stationne près
des lieux où elle travaille : collèges, lycées, écoles primaires. Elle
essaie de grignoter du terrain dans la mesure où elle propose de présenter
sa caravane musée, elle réalise ses ateliers pendant les vacances ou les
week-ends et participe à de grands festivals. La caravane sert à de
multiples fonctions dont la première est bien évidemment celle d’un petit
musée. Elle récolte avec ses assistants des catalogues d’expositions, des
œuvres d’artistes et autres. Ensuite la caravane sert de lieu d’habitation
et elle est également utilisée pour réaliser des ateliers sur les aires
d’accueil en France auprès des manouches, des familles gitanes et chez les
roms qui vivent dans les squats ou dans des friches industrielles assez
proches des grandes villes. Tania Magy aura l’amabilité de nous faire une
petite visite de sa caravane.
« Bienvenue. Avant d’entrer dans la caravane musée, il y a toute une
exposition à l’extérieur : un parapluie forain, un fil à linge avec des
panneaux qui sont plastifiés à cause de l’humidité et du vent et qui
parlent de notre vie, présentent notre association, ses objectifs et son
but, ensuite vous avez une série sur les instruments de musique, puis sur
les différents festivals que nous avons pu pratiquer, par exemple le premier
festival Tsiganes de Bergerac, le festival Django et des images un peu choc,
un peu amusantes qui mettent en scène par exemple la caravane et la voiture,
un château ou un endroit féerique qui montre un peu le stéréotype aux gadjé
qui disent que les tsiganes sont des gens sales qui vivent dans des déchets.
On essaie justement de jouer, vu que l’on est dans le domaine artistique,
sur ce stéréotype, pour montrer que l’on peu aller de l’au-delà et que les
tsiganes ne sont ni sales, ni voleurs d’enfants, ni méchants.
Devant la caravane vous avez un stand qui présente des objets un peu rares
qui nous ont été laissés par des artistes. Il y a par exemple le livre
d’Alexandre Bouglione cirque Romanes, le livre de Gérard Gartner sculpteur
Rom et écrivain, des ouvrages qui parlent des droits de roms en France comme
par exemple l’ouvrage de Xavier Rotea.
Lorsque vous entrez dans la caravane vous avez différents panneaux et des
dédicaces de personnes qui nous croisent en chemin et qui sont des
chercheurs, des tsiganologues ou bien des Roms, des Gitans, des Manouches
qui signent cette caravane et amènent leur touche personnelle pour que ce
soit vraiment un musée, quelque chose de vivant. Au fur et à mesure de nos
festivals, de notre itinérance et des installations de notre route nous
changeons cette petite installation. Nous rajoutons des objets et nous en
enlevons d’autres. Par exemple au niveau des documents pédagogiques pour les
enfants, pour les écoles il y a une série de panneaux qui présente des
traces d’ateliers réalisés avec les enfants sur les terrains, ensuite il ya
des aquarelles que je peins et qui représentent en général la vie des
campements. Il y a aussi des mots en romanes et des mots en français pour
apprendre à lire et à écrire aux enfants, des illustrations avec des
caravanes, des animaux, des personnages, des tableaux qui nous ont été
offerts par d’autres artistes, des photos que Nouka Maximoff nous a envoyé
de son père écrivain rom Matéo Maximoff, des trace de Mona Metbach, Philippe
Chèvre, professeur d’université dont la première photo est celle des Roms de
Pécharmant en dordogne quand il était petit, France Everard qui nous a fait
un petit tableau, Lucia Fratellini, l’exposition de Jacky Craissac, gitan
catalan et créateur d’instruments, un souvenir du pèlerinage de Gien, de
très d’anciens cartons d’invitations d’exposition tsiganes, des Papusza –
marionnettes que l’on a fabriqués, des poupées gitanes qui dansent – ce
genre poupées que l’on trouve en Espagne, des carnets de route, des carnets
de voyage et tous ce qui peut être la trace d’atelier que l’on réalise avec
des enfants en collège ou en lycée qui sont amené plus tard soit à
rencontrer la culture rom parce que peut-être ils créeront plus tard des
entreprises dans d’autres pays ou en France avec la main d’œuvre à
l’étranger.»
Récemment le CRARC et le CASNAV33 ont demandé à Tania de former des jeunes
étudiants à la culture rom pour qu’ils comprennent mieux la culture et la
vie quotidienne des tsiganes, pour qu’il y ait une meilleure communication.
Il s’agit du projet d’Etudes pour les non discriminations développés en
France et en Europe.
Il est certainement intéressant de parler un peu de l’Association Art Rom de
voyages, créée en 1998, dont le but est la promotion des arts tsiganes et du
voyage et qui est ouverte aussi à d’autres personnes. Au début il n’y avait
que trois : la présidente Gaëlla Loiseau, ethnologue, Guillaume Malinge,
documentaliste de l’Association et Tania Magy, secrétaire et trésorière de
la structure. Actuellement l’Association Art Rom de voyage compte une
centaine d’adhérents dans toute la France et dans d’autres pays, par exemple
en Angleterre, en Espagne, en Irlande et Italie. Les adhérents participent
de près ou de loin aux activités de l’association. L’association fonctionne
en plusieurs parties. La parole est encore une fois à Tania Magy.
« La partie la plus administrative concerne notre domiciliation car on
travaille avec des structures qui sont proche des arts de la rue ou des arts
de la piste. Nous avons un centre ressource dont le but est de fonctionner à
terme avec les Etudes tsiganes à Paris pour permettre à des personnes qui
n’ont pas accès aux documents de pouvoir se renseigner. Grâce à notre blog
sur Internet nous faisons également la promotion des arts tsiganes. Ce que
je considère être le plus important, c’est le travail de terrain qui englobe
différentes activités. En ce moment par exemple nous travaillons sur le
thème Art et santé avec des animateurs d’un Centre social : une infirmière,
des médecins ceci par le biais des ateliers d’art plastiques. L’objectif est
de montrer à des enfants tsiganes, manouches ou roms ainsi qu’à des adultes
les dangers et les risques de la vie nomades. C'est-à-dire en premier lieu
les dangers domestiques comme les brûlures, l’eau de javel, les prises de
toxiques, le saturnisme, lorsque les ferrailleurs travaillent avec du plomb
ou autres maladies du genre. Ensuite le Centre comprend la PMI– Protection
maternelle et infantile pour les jeunes mamans, parents et leurs enfants. On
essaye de confectionner des petites œuvres qui parlent de soi, par exemple
comment se représenter, comment faire un autoportrait ou une petite
sculpture qui montreraient comment les enfants tsiganes se perçoivent,
comment on perçoit sa maladie ou la maladie de l’autre. Pour contrebalancer
ces moments malheureux on parle aussi des moments heureux, des moments de
bonheur et ce qui revient le plus fréquemment chez les enfants et les jeunes
adultes c’est la vie en famille, la vie du voyage, les mariages, les
anniversaires, les grandes fêtes. Puis il y a les moments un peu plus fort
et plus ténébreux, comme les Pomanas, rites, pratiqués à l’occasion d’un
décès. Pour la Pomana on choisit quelqu’un qui a bien connu le défunt et la
personne est censée de se vêtir avec les vêtements du mort et prendre
l’intonation des phrases clefs qui représentent le personnage défunt. Ainsi
elle rappelle son souvenir, ce qui permet aux personnes qui n’ont pas pu
s’exprimer de passer des messages au défunt. »
Tania Magy était très contente lorsqu’elle a découvert sur Internet qu’il y
avait un vrai Musée de la culture rom à Brno. Et elle s’est dit: « On n’est
pas tout seul, c’est très important. »
Écrit par Jaroslava Gregorová
Entretien et photos : Jana Šustová
Galerie photos - cliquez ici...
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