Soixante ans après la fin de la guerre, une porcherie se trouve sur le site
de l'ancien camp de concentration pour Roms à Lety
L'un des chapitres tragiques de l'histoire tchèque - la solution dite
finale réservée par les nazis aux Roms de Bohême et de Moravie. Sur près
de 6000 Roms installés, selon un recensement de 1939, sur notre
territoire, moins d'un dixième a survécu à la guerre : plus de 5500 Roms
ont été déportés dans le camp d'extermination d'Auschwitz. Mais avant
encore, ils sont passés par deux camps de concentration pour Roms créées
sur ordre des nazis par le gouvernement du protectorat de Bohême -
Moravie: l'un près de Hodonin, en Moravie du sud, l'autre à Lety près de
Pisek, en Bohême du sud. Soixante ans après la fin de la guerre, les Roms
continuent toujours de réclamer, en vain, le déplacement d'une porcherie
industrielle construite dans les années 70, à l'endroit même des anciens
baraquements de Lety.
Une cérémonie du souvenir a eu lieu, le 13 mai à Lety, en hommage aux 326
Roms, hommes, femmes et enfants qui y ont péri, entre 1942 et 1943, d'une
épidémie du typhus, de la faim et des sévices corporels. Le reste de près
de 1300 Roms de Lety a été envoyé dans les chambres à gaz d'
Auschwitz-Birkenau. Jusqu'à 1995, aucun monument ne marquait le lieu. Il a
tout juste dix ans, le président Vaclav Havel a pris l'initiative d'ériger
un mémorial à Lety, à quelques mètres de l'ancien camp, puisqu'une
porcherie occupe, depuis 1974, le site même. En dépit des promesses, aucun
des gouvernements qui se sont succédés, depuis les 10 dernières années, n'a
réussi à la déplacer. La firme à laquelle appartient la porcherie, AGPI
Pisek, dit ne pas s'opposer au déplacement à condition que l'Etat lui
offre une compensation.
Les organisations rom sont indignées: Cenek Ruzicka, du Comité pour le
dédommagement des victimes de l'holocauste rom, dont le père et le frère
ont péri à Lety, a déclaré vendredi dernier à la cérémonie:
"Nous sommes sur le lieu du dernier repos involontaire des victimes
rom du nazisme. Nous nous trouvons à 150 mètres du lieu où ils ont péri.
La mémoire des victimes du camp est depuis 30 ans déshonorée par une
porcherie industrielle. Des personnalités étrangères influentes, dont
Günter Grass et Simon Wiesentahl sont intervenues. 241 enfants victimes de
Lety accusent. L'existence d'une porcherie reflète fort bien toute la
difficulté des rapports à l'intérieur de la société tchèque. N'oublions
pas que les victimes rom de Lety étaient des citoyens tchécoslovaques. Par
sa résolution sur les Roms, du 27 avril dernier, le Parlement européen a
appelé la République tchèque à éliminer la porcherie. Une information de
toute actualité: notre comité a demandé au gouvernement allemand
d'aménager ces lieux du souvenir selon nos propositions. Nous voulons y
faire un sentier conduisant autour de l'ancien camp, pas du tout un
monument coûteux, mais cela signifie, tout d'abord, éliminer la
porcherie."
Jan Vrba a 62 ans et il a, comme lieu de naissance, le camp de Lety où ses
parents étaient déportés. Sa soeur et son grand-père y sont morts. Que
dit-il de l'existence de la porcherie ?
"C'est une atteinte à l'honneur de la mémoire des morts, elle devrait
disparaître, et le lieu devrait être aménagé avec piété, comme il en est,
en pareil cas, partout dans le monde, pour que les Roms ne soient plus
discriminés."
Le camp de Lety a été installé en 1941, d'abord en tant que camp de
travail et d'incarcération pour les Roms errants sans domicile fixe. Or,
au début, il n'y avait pas que des Roms. En 1942, il a été transformé en
camp de concentration pour Roms, uniquement, et servait de camp
transitoire vers le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Dans sa
récente résolution relative à la situation des Roms, le Parlement européen
a appelé la République tcheque à éliminer la porcherie. Le député du
Parlement européen pour le parti communiste tchèque, Miroslav Ransdorf, y
a réagi en mettant en doute l'existence d'un camp de concentration à Lety.
Et il n'est pas le seul : au quotidien Lidove noviny, le président de la
République, Vaclav Klaus, a déclaré que Lety n'était pas un camp de
concentration au sens du mot, mais un camp pour ceux qui refusait de
travailler. L'éditorialiste de Pravo, Petr Uhl, a décidé de porter plainte
contre Miroslav Ransdorf. Je lui ai demandé des explications:
"J'ai porté une plainte qui est un appel à sa poursuite judiciaire.
Je l'ai fait non pas parce que l'eurodéputé tchèque Ransdorf a voté contre
la résolution du Parlement européen sur les Roms et donc contre la
nécessité d'annuler la porcherie, mais parce qu'il a déclaré aux
journalistes qu'on propage des mensonges énormes sur Lety, et qu'il n'y
avait pas de camp de concentration ici. Selon la terminologie nazie, même
Auschwitz n'était pas un camp de concentration, pendant une certaine
période. C'est absurde d'utiliser la terminologie nazie. En plus de cela,
M. Ransdorf nie le fait que les gardiens ici, à Lety, c'était des gens
locaux qui parlaient tchèque, c'était des gendarmes du Protectorat de
Bohême - Moravie, un organe d'occupation comme le régime de Vichy en
France. Une différence: en France, on a reconnu la culpabilité historique,
alors que nous, nous disons, les coupables ce sont les Allemands. Le
processus n'a pas encore été réalisé et cela commence. Nous devons
reconnaître que ce n'était pas des unités SS comme à Terezin, mais que,
malheureusement, c'était des gendarmes tchèques, qui, après la libération,
n'ont pas été jugés. C'est notre problème et, dans ce sens, il faut que ce
soit nous qui le règle, et l'aide, l'assistance du Parlement européen est
adéquate, normal et sympathique, d'autant que c'était sur proposition d'un
député, d'un citoyen tchèque qui est aussi citoyen allemand, qui siège au
Parlement pour les Verts allemands: c'est Milan Horacek, exilé de 1968
qui, après 1989, a pris la double nationalité et qui est aujourd'hui
député à Strasbourg."
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