Printed 24.01.2021 20:14 23-11-2012 Pierre Meignan
Les expulsions dans le quartier de Přednadraží à Ostrava, en Moravie du
Nord, et la détermination des habitants, à majorité rom, à rester dans
des habitations insalubres illustrent l’urgence de penser le
développement du logement social en République tchèque. Dans un pays ou
ce système semble peu ou mal agencé, l’Agence tchèque pour
l’intégration sociale organisait début octobre un séminaire avec
l’Office public de l’habitat (OPH) du département de la Meuse pour
connaître l’approche développée en France autour du logement social et
peut-être s’en inspirer.
« Je crois qu’ils sont curieux de voir comment est versée l’APL (Aide personnalisée au logement, ndlr). Comment l’Etat aide directement les locataires. Ce qui les a beaucoup intrigué hier, c’est la manière dont on laisse en place un locataire ou comment il se trouve expulsé. L’expulsion en France est vraiment devenue extrêmement marginale. Un locataire, on essaie toujours de le garder dans son logement. Et ça, ça a beaucoup interrogé nos partenaires tchèques. »
Sylvie Mermet-Grandfille remarque qu’en France, la question de la mixité sociale est primordiale et selon elle, celle-ci se passe généralement très bien sauf dans certains territoires ou la densité urbaine est très importante. Bien que les pratiques en France soient bien établies et s’inscrivent dans le cadre d’une législation fournie, elles ne peuvent être simplement transposées à la République tchèque selon Jan Snopek, l’analyste en charge du logement social au sein de l’Agence pour l’intégration, laquelle organisait la rencontre. Cette dernière peut cependant être riche d’enseignements :
L’OPH de la Meuse a ainsi été créé en 1919 et le logement social s’est donc développé en France tout au long du XXe siècle. Karel Kubišta est d’origine tchèque. Il est également directeur de la maîtrise d’ouvrage de l’OPH de la Meuse et revient sur ce contexte particulier propre à la République tchèque et plus généralement aux anciens pays communistes : « Ce qu’il faut savoir, c’est qu’avant 1989-1990, tous les logements étaient sociaux en quelque sorte puisque c’était des logements qui appartenaient de facto à l’Etat. Cependant il faut relativiser cette expression de ‘logement social’ parce que tous les locataires se sont appropriés leur logement, ils pouvaient en disposer. Ces logements pouvaient être transmis par héritage à d’autres membres de la famille et pouvaient même être cédés parfois contre une indemnité. Pour moi, c’était donc de faux logements sociaux. Après 1990, les choses changent parce qu’au lieu de promouvoir le logement social en République tchèque, l’Etat a privatisé des logements. Les immeubles ont été vendus à des bailleurs privés qui ont pu augmenter les loyers après l’abrogation de la loi sur la limitation des loyers. Les locataires ont été chassés. C’était forcément néfaste pour les personnes ne pouvant pas payer de leur loyer ; souvent les personnes âgées qui avaient des retraites très faibles. »
« Aujourd’hui en République tchèque, il n’y a pas réellement de logements sociaux. Vous avez encore aujourd’hui par exemple des logements coopératifs, ‘družstevní byty’. Mais là aussi, vous êtes actionnaire au sein de la coopérative et vous disposez toujours du logement donc vous pouvez céder à quelqu’un vos actions, voire vendre votre logement. » En parallèle, il existe un système de logement à loyer dit « régulé », qui devait logiquement prendre fin cette année, mais qui dans les faits perdure. Ils concernent les personnes qui étaient déjà propriétaires de leur domicile avant la chute du communisme. Difficile cependant de considérer qu’ils répondent à une logique de logement public puisqu’ils sont parfois utilisés par des individus dont les revenus leur permettraient sans problème d’occuper un autre habitat. Le problème de la République tchèque serait lié à l’inexistence d’une volonté politique pour faire évoluer les choses. C’est en tout cas l’avis de Jan Snopek : « Il n’y a pas de volonté politique et je crains qu’il n’y en ait pas non plus à l’avenir. C’est évidemment compréhensible dans la mesure où nous traversons une période de crise économique et la tendance est bien plus à économiser sur les dépenses publiques plutôt que de s’embarquer dans le domaine du social au sein duquel le logement est certainement un élément essentiel. »
« Je pense que la République tchèque devrait se doter des outils qui justement existent en France. Il s’agit d’outils législatifs mais aussi opérationnels. Aujourd’hui par exemple, ce sont les communes qui gèrent les logements mais elles ne sont pas structurées. Chaque bailleur social en France est bien structuré en plusieurs secteurs : financement, construction, gros entretien, etc. Aujourd’hui, on ne sait pas vraiment ce que font ces communes tchèques. Visiblement, ils ne savent pas utiliser les leviers à leur disposition pour ‘prendre le taureau par les cornes’ et commencer à faire quelque chose. Il ne faut pas également se défausser des biens immobiliers que les communes possèdent. C’est important, il ne faut pas privatiser à tout-va parce que ce n’est pas rendre service aux populations à faible revenu. D’un autre côté, il faut faire attention, chaque commune ou chaque bailleur devrait avoir un plan stratégique du patrimoine. En Pologne par exemple, ils ont essayé de créer des équivalents des organismes HLM et ça n’a pas du tout marché car ils n’avaient pas de plan stratégique. » En Pologne, on a ainsi construit de façon irréfléchie. En conséquence de quoi, les entreprises se sont endettées, les loyers ont donc augmenté pour compenser ces pertes et les nouveaux logements ont connu une vacance relativement importante. En République tchèque, si une révolution en matière de logement social ne semble pas à l’ordre du jour, il serait toutefois inexact de dire que le gouvernement ne fait rien. Jan Snopek : « Ce n’est pas simple. Le gouvernement s’est mis d’accord l’an dernier sur une conception de sa politique en matière de logement jusqu’à l’horizon 2020 dont l’une des fonctions est de trouver une solution pour le logement social. Cela devrait être fait l’an prochain. Mais pour l’instant, c’est seulement à l’état de discussion et il n’est pas encore possible de se faire une idée de la direction qui sera prise pour faire prudemment évoluer les choses. »
« On essaie de faire du logement de qualité pour que le locataire qui a des revenus faibles ait le sentiment de vivre dans quelque chose de qualité et qu’il en retire une certaine fierté. » Copyright © Radio Praha, 1996 - 2003 |