Article from http://www.romove.cz Printed 28.02.2021 05:40
Un "anti-enterrement" pour l'anachiste et défenseur des droits
des roms Jakub Polák 23-10-2012 Pierre Meignan
Voici un mois, Jakub Polák, figure emblématique de l’anarchisme
tchèque, était emporté par un cancer à l’âge de soixante ans.
Cofondateur d’un nombre incalculable d’initiatives et de revues
militantes, animateur du monde libertaire tchèque, Jakub Polák était
surtout connu pour sa lutte obstinée contre les discriminations et les
violences faites aux populations roms ; un combat parfois impopulaire dans
un pays où le consensus anti-rom est largement partagé.
Jakub Polák a été à la fois un spectateur et un acteur de l’histoire
des pays tchèques de ces cinquante dernières années. Impliqué dans les
évènements de 1968, le « Printemps de Prague » qui a cru voir
l’instauration d’un autre socialisme, le régime lui interdit d’abord
de faire des études. Jakub Polák entre alors en dissidence tout en se
montrant actif dans l’underground tchécoslovaque. Vingt ans plus tard,
il participe à la fondation du comité de grève qui mènera à la
Révolution de velours, renversant un régime répressif et arbitraire par
un régime capitaliste d’appropriation privée des biens de production,
un régime où la violence est sociale et économique et qui ne trouve pas
non plus grâce à ses yeux.
Polák est un anarchiste et il conteste les notions de propriété et
d’autorité. Au contraire, il promeut l’association libre entre
individus, l’autogestion qui s’exprime par exemple selon lui à travers
le mouvement des squats – il participait encore en juin dernier à la
réoccupation temporaire du squat Milada à Prague. Car pour ce militant,
reconnaissable entre mille à sa barbe blanchâtre et à ses lunettes
noires, l’anarchisme est avant tout une philosophie d’action comme le
note son ami et jeune compagnon de route, le politologue Ondřej
Slačálek. Celui-ci revient également sur la participation active de
Jakub Polák à la revue libertaire A-Kontra :
« Il était le premier à refuser d’être considéré comme le
fondateur de ce magazine. Il s’agissait d’une entreprise collective de
promotion de l’anarchisme tchèque. Cependant, il faut dire que Jakub
était un personnage très fort qui s’est particulièrement investi dans
les cinq premières années de la revue A-Kontra et qui a donné un visage
à l’anarchisme tchèque dans nombre d’actions publiques. En même
temps, pour lui, l’anarchisme était une ‘philosophie de l’action
concrète’, qu’il s’agisse de lutter contre l’extrême-droite, de
s’engager dans des mouvements écologistes radicaux ou dans l’action
envers les squats. »
Jakub Polák a pu connaître une certaine notoriété dans les années
1990 par son militantisme antifasciste à une époque où le racisme
anti-rom semblait banalisé, un combat qui lui vaudra de recevoir en 2000
le prix Frantisek Kriegel remis par la fondation de la Charte 77. En
collaboration avec des associations de défense des droits des roms, Jakub
Polák s’implique dans plusieurs affaires de meurtres à caractère
raciste commis par des skinheads néonazis, dont sont notamment victimes
Tibor Danihel en 1993 à Písek ou Milan Lacka en 1998 à Orlová. Nombreux
sont ceux qui considèrent que l’action de Polák a été déterminante
dans la condamnation des responsables à une époque où les non-lieux
étaient courants dans ce genre d’affaires. Ondřej Slačálek donne
quelques précisions sur le sens de l’engagement de Jakub Polák :
« Pour Jakub, l’anarchisme cela voulait surtout dire qu’il fallait se
tenir du côté des plus faibles, du côté de ceux qui sont les plus
menacés, et qu’il était possible d’agir concrètement pour les
soutenir. Il était assez ferme là-dessus. Ce qui l’énervait le plus,
c’étaient les postures qui ne reposaient sur rien, les actions qui
n’étaient pas achevées. »
Le mouvement anarchiste reste vivant en République tchèque même si
Slačálek regrette qu’il ne soit pas aussi dynamique que dans certains
pays de l’ouest de l’Europe. Une semaine après la mort de Jakub
Polák, une centaine de militants et de sympathisants se sont réunis sur
l’Ile des archers à Prague pour lui rendre un dernier hommage sur des
airs de musique tsigane à l’occasion d’une fête intitulée «
l’anti-enterrement ».
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