La République tchèque à la mi-temps des émeutes ?... Et les projets de
Václav Havel à la veille de ses 75 ans
Pour la République tchèque, les émeutes dans le nord de la Bohême entre
la population locale majoritaire et la minorité rom, provoquées par deux
actes d’agression commis par des Roms, sont un phénomène nouveau. Les
médias nationaux suivent de très près les événements et l’évolution
dans la région, dont le futur scénario demeure imprévisible. Nous avons
retenu quelques exemples des nombreux échos qui alimentent la presse...
Nous vous présenterons également les grandes lignes de l’interview
accordée par Václav Havel à un grand quotidien tchèque.
L’ex-président tchèque sort ainsi de son long silence, dû à sa
récente maladie.
« La tension va continuer à monter », « Nous avons désormais affaire
à une génération perdue de Rom », « Que fait le gouvernement pour
stopper le racisme tchèque ? ».
Voilà quelques-uns des titres d’articles, commentant ou analysant la
situation dans trois villes du nord de la Bohême, Nový Bor, Varnsdorf et
Rumburk, qui ont été ces derniers jours le théâtre d’une vague de
protestations de la population locale majoritaire contre la population rom.
Fortement soutenues et accompagnées par des groupes d’extrême droite,
celles-ci vont très probablement se poursuivre, risquant de s’étendre
sur d’autres localités. Dans le journal Právo, Miloš Balabán, expert
en questions sécuritaires, signale :
« Une analyse sociologique, élaborée il y a quelques années, a
révélé une donnée choquante, qui est pourtant connue des milieux
politiques; la République tchèque possède près de 400 ghettos habités
notamment par des milliers de Roms. Le fait que l’existence des ghettos
constitue une importante menace sécuritaire a été discuté sur le sol du
Parlement, pourtant, les politiciens n’ont tiré aucune conclusion de
cette information ».
Selon l’expert cité, « les retombées sécuritaires des problèmes
relatifs aux groupes d’exclus risquent d’être pour la République
tchèque beaucoup plus graves que celles du terrorisme, lequel demeure au
coeur de l’intérêt des autorités tout en étant chez nous négligeable
»... D’après lui, seule la mise en valeur d’une stratégie de longue
haleine, misant sur l’inclusion des exclus, est à même de servir de
prévention. Sinon, on peut s’attendre « à de nouvelles émeutes à
l’image de celles de Londres.».
Pour Martin Komárek du quotidien Mladá fronta Dnes, il s’agit «
d’un immense conflit social et de civilisation qui a explosé, après
avoir longtemps couvé sous la surface ». Il insiste sur ce que l’Etat
doit finalement agir, afin de rattraper son retard et ses manquements en la
matière. « Travailler systématiquement avec les Roms, ainsi qu’avec la
population majoritaire, réconcilier, chercher les ponts. Le tout sans la
force », ce sont les remèdes qu’il propose.
Dans sa dernière édition, l’hebdomadaire Respekt remarque: « La
vitesse avec laquelle la société majoritaire a transformé les actes
criminels de quelques voyous en conflit racial et la force du troupeau qui
réclame la vengeance sur l’ensemble des Roms démontre que nous sommes
confrontés à un problème grave auquel nous ne savons pas faire face ».
Dans un article qui présente une analyse approfondie de la situation et
qui récapitule les précédentes activités du gouvernement, il
s’interroge : « Quel chemin la société tchèque a-t-elle parcouru au
cours des vingt dernières années, avant d’en arriver sur la place des
villes dans le nord de la Bohême ? Et quelles sont aujourd’hui les
possibilités de modérer la tension dans la société qui ne cesse de
monter ? » Le journal écrit :
« C’est en 1997 qu’apparaît un premier projet gouvernemental
attirant l’attention vers la détérioration de la situation économique
et sociale des Roms et à l’expulsion d’une partie de leur communauté
en marge de la société... Un an plus tard est créée la fonction de
délégué pour les droits de l’homme, chargé entre autre de
l’inclusion des Roms dans la société... Dans les années 2000 est née
une agence spéciale en charge de l’inclusion des Roms défavorisés ».
En dépit de ces initiatives, beaucoup de Roms pauvres sont contraints,
dans les années 1990 et 2000, à quitter leurs habitations au centre des
villes pour déménager dans des localités dites exclues, et à y mener
une vie marquée par le chômage, l’endettement, l’usure, la drogue, la
prostitution, le crime...
En conclusion, l’hebdomadaire s’interroge sur ce qu’apportera un
nouveau projet stratégique qui propose des solutions complexes en vue de
contribuer à l’amélioration de la situation de la population
minoritaire rom et à atténuer l’atmosphère tendue au sein de la
société tchèque, qui sera bientôt soumis au gouvernement. Et de
souligner que c’est l’accès à l’éducation qui est dans ce sens
prioritaire, une grande partie d’enfants roms étant encore aujourd’hui
obligés de fréquenter des écoles spécialisées.
C’est d’ailleurs ce qu’affirme dans les pages du quotidien Lidové
noviny, aussi, Jan Sipoš, président du Conseil des Roms de Chrudim, une
autre ville à problèmes et qui prétend qu’« un enfant rom qui veut
réussir doit en faire deux ou trois fois plus qu’un enfant blanc du
même âge ». Dans un entretien accordé au journal, il critique
également le fait que faute de possibilités de travail, les jeunes Roms
sont « une génération perdue », car ils n’ont pas appris à
travailler.
Selon le très populaire rappeur rom Radek Banga, interrogé par le
journal Mlada fronta Dnes, le problème qui secoue la Bohême du nord
n’est pas d’ordre racial, mais surtout d’ordre social.
Dans les pages du même journal, le psychologue Slavomil Hubálek estime
cependant, que « l’aversion de la population majoritaire à l’égard
de la minorité rom a atteint à certains endroits un tel degré que même
les chômeurs ‘blancs’ scandent : ‘Au boulot, les tziganes’ ». De
ce fait, il avertit : « ‘l’incendie’ peut envahir aussi d’autres
villes ».
« C’est désormais la ville de Mladá Boleslav, une des villes
tchèques les plus riches qui prospère grâce à l’usine automobile
Skoda, mais qui possède aussi un ghetto rom composé de HLM, qui est
particulièrement menacée par une révolte sociale », écrit Mladá
fronta Dnes.
La voix de Václav Havel, qui va souffler en ce début de mois d’octobre
ses 75 bougies, s’est fait de nouveau entendre, après une assez longue
période de silence, causée par des problèmes de santé dont
l’ex-président et dramaturge tchèque souffrait. Dans une interview
accordée au quotidien Mlada fronta Dnes, il parle entre autres de son
isolement qui a duré près de cinq mois et de ses futurs projets, et se
penche aussi sur la situation dans le pays.
Concernant la situation politique, Václav Havel déclare « être
profondément frustré et inquiété par la distance entre la politique et
le public qui va croissante ». Il dit également être de plus en plus
souvent en désaccord avec l’actuel président et son successeur, Václav
Klaus... Quant à ses sympathies électorales, il répète que son coeur
bat tout comme dans le passé pour les Verts. Et il ajoute sur un ton
optimiste :
« Je suis certain qu’un changement positif surviendra tôt ou tard dans
le pays. Les dernières élections électorales ne l’ont pas encore
apporté, elles ont pourtant signalé l’aspiration de la population à un
tel changement. Les gens veulent autre chose et cela n’a finalement rien
à voir avec la gauche ou la droite ».
Revenant aussi sur le film Sur le départ (Odcházení), sa première
réalisation cinématographique qu’il a mise sur pied l’année
écoulée, et auquel la critique et le public ont réservé un accueil
tantôt enthousiaste tantôt très sévère, mais jamais indifférent,
Václav Havel constate : « Quoiqu’il en soit, je suis heureux d’avoir
eu l’occasion d’entreprendre une telle aventure ».
Et s’agissant de ses projets d’avenir, Václav Havel avoue :
« Je pense que pour moi le temps est venu de consacrer plus de temps à
la lecture, d’aller plus souvent au cinéma, au théâtre, de me reposer
et de méditer. Je dois rattraper un grand retard. Diffile d’imaginer à
quel point je ressens le temps perdu pendant deux années de service
militaire dans les années 1950, cinq années passées en prison dans les
années 1970 et 1980 et, en quelque sorte aussi, treize années en fonction
présidentielle. Parfois je pense qu’il s’agit d’un manque
irréparable ».
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